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264. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

Comme Hugo, il est partout… Il est précisément dans cette scène, la plus préparée, la plus travaillée et la plus indécente du livre, cette scène du viol (presque) de Gwynplaine (l’Homme qui rit) par cette duchesse Josiane, que l’auteur, l’ennemi des duchesses, a bâtie à la chaux et au sable de la plus audacieuse corruption. […] Mais l’engoulevent n’est qu’une grive en comparaison du poète dramatique qui avale, lui, des choses bien plus difficiles à avaler que le vent, quand ces choses peuvent se réduire en drame, en effets à produire, en applaudissements… Or, la Lucrèce Borgia d’Hugo est une de ces choses-là… Lucrèce Borgia avait été, comme son père Alexandre VI, arrangée de longue main, pour le scandale et pour l’horreur, par des drôles, ennemis de la Papauté, qui trouvaient joli de faire la Renaissance des crimes de l’Antiquité en même temps que la Renaissance littéraire ; et l’engoulevent dramatique avala cette Lucrèce comme Gargantua avala ses six pèlerins en salade, et nous la rendit, cette Lucrèce, en cette chose qu’on joue pour apprendre au peuple la véritable histoire. […] Ce furent à leur tour les poètes du temps, comme Sannazar et Pontano, les Épigrammatistes et les Renaissants qui imitaient l’ordure antique, les Suétoniens qui voyaient partout des Césars et des vices à la façon romaine, et tous ces ennemis de l’Église qui n’attendaient que Luther pour se faire protestants. […] Si son poète n’est pas entièrement passé à l’ennemi, il est à califourchon sur la palissade des deux camps. […] Et c’est la trahir, pour parler comme elle, que d’admirer ses ennemis, fussent-ils admirables cent fois !

265. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Chantre de Tancrede & d’Armide, je te suis dans tous les lieux où t’entraîne le destin le plus bizarre, je vois le charme de la Poësie, comme un baume vivifiant, ranimer ton ame flétrie par la douleur ; tu braves le sort & les ennemis en te jettant dans les bras des Muse ; la mort s’avance & tu ne l’apperçois pas ; ton œil ne se porte que vers l’immortalité. […] Tandis que l’ennemi des beaux Arts sur le déclin de ses années, à charge à lui-même & aux autres, éprouvera un vuide affreux, n’envisageant que le spectre de l’ennui, & les ombres horribles de la mort : l’homme éclairé jouira du spectacle de sa vie passée ; il aura sçû apprécier, ce que vaut l’existence, & fort par sa pensée, il ne redoutera point l’instant inévitable qui doit terminer sa carrière : ainsi le généreux Fénélon, qui montra à l’Univers le caractère rare & sacré d’une ame remplie à la fois d’une extrême vertu & d’une extrême douceur, ne perdit point dans les Cours la simplicité de ses mœurs, & conserva dans son exil cette égalité d’ame que rien ne pût corrompre. […] Distingués du reste des mortels par vos lumières, montez votre ame au ton de votre génie, il en sera plus grand, plus fier, plus sublime, plus cher à la Nation, à l’humanité, & la foule envieuse ne saisira plus le prétexte de vous refuser son hommage pour exercer le triste droit de calomnier vos mœurs, & vous mépriserez les sourds complots du Fanatisme, & de l’ignorance, & affermis sur la colomne inébranlable de la probité jointe à l’honneur, vous verrez vos ennemis réduits à garder un silence qui fera leur supplice & leur honte.

266. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XV, l’Orestie. — les Choéphores. »

Électre est restée dans le palais d’Argos, subie et opprimée par sa mère, qui hait en elle l’ennemie de son crime. — « Et moi », — dira-t-elle plus tard à Oreste, — « j’étais tenue à l’écart, méprisée, abjecte, chassée au dehors comme une chienne malfaisante ; et ma seule joie était de cacher mon deuil. » — Exclue du foyer, reléguée parmi les esclaves, Électre erre autour du palais maudit, couvant sa haine et nourrissant son espoir. […] Je souhaite à nos ennemis que ton vengeur apparaisse, qu’il rende la mort à ceux qui te l’ont donnée. » À peine évoqué, le vengeur surgit. […] Mieux vaut avoir tous les hommes pour ennemis plutôt que les dieux. » — C’en est fait, le doute a cessé : Oreste, redevenu le bourreau d’un dieu, n’a plus rien d’humain.

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