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463. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

Un jour, quand il était dans toute sa splendeur, l’heureux Chateaubriand, cet enfant gâté qui a toujours voulu de la lune, et qui a toute sa vie été triste, parce que c’est la seule chose que son époque n’a vraiment pas pu lui donner, l’insupportablement heureux Chateaubriand publia une lettre sur Rome — bon sujet de belles phrases — sur la suscription de laquelle le grand phraseur, ce Narcisse qui était son Écho amoureuse à lui-même, écrivit ce nom modeste et bourgeois (l’un ne veut pas dire l’autre) de Joubert. […] Il avait été ébauché par un médecin maladroit ou préoccupé, car c’était un médecin que son père, un médecin qui faisait pour son compte des enfants malingres, et qui défaisait probablement, pour le compte des autres, des enfants très sains ! […] Il y a dans cette notion d’ange quelque chose de beau, de jeune, de guerrier, de dominateur et de rapide qui n’allait point à l’idée de cet être né sénile et resté enfant, de cette âme qui se débattait dans un homme et qui avait la voix d’androgyne de la Sagesse, car la voix de la Sagesse n’a point de sexe, comme dit Joubert lui-même en parlant de Fénelon… Intellectuellement, Fénelon serait peut-être la figure à laquelle Joubert, après Platon, ressemblerait le plus.

464. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Louis Vian » pp. 373-387

Coutume sublime, qui n’était pas particulière à la maison de Montesquieu, mais qui était la coutume des anciennes maisons chrétiennes d’un pays qui aimait les pauvres comme Jésus-Christ lui-même, et qui, en donnant un pauvre pour parrain à leurs enfants, croyaient leur donner Jésus-Christ Ainsi, nous apprend Louis Vian (qui nous apprend bien d’autres choses encore, dans cette biographie étincelante de mille détails neufs), fut baptisé Montaigne, le comte de Beauvais et Buffon. Une pareille éducation, qui commençait même avant que la tête de l’enfant fût ouverte aux premières impressions de l’existence, mais dont il devait plus tard recevoir, en apprenant cela, l’enseignement, n’a peut-être agi qu’à la mort sur l’âme de Montesquieu. […] Lorsque Benoist ΧIIΙ lui octroya pour lui et ses enfants la permission de faire gras toute leur vie, il fallut payer les droits de daterie ; mais il planta là ses bulles de dispense, et plutôt que de rien payer, il aima mieux faire maigre à jamais. […] Il y parle du xviiie  siècle, et il ne salue pas jusqu’à terre ce gros ventre de Messaline, plein de l’enfant de tout le monde qui va sortir tout à l’heure, et qui sera la Révolution française !

465. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. H. Wallon » pp. 51-66

Saint Louis, qui fut un Roi tout court, le Roi net, comme on disait en Espagne, le Roi père de la société, — de même que le père est le Roi de la famille, ainsi que le voulait dans sa théorie ce vieux imbécile de Bonald, — doit apparaître aux fiers cerveaux du xixe  siècle comme un Roi bon tout au plus pour un peuple enfant, digne, sinon du mépris tout à fait, au moins de l’indulgence de l’Histoire… En deux mots, voilà pour le Roi. […] Elle opposait aux barons, moins faciles à l’enthousiasme que les Hongrois, cet enfant, élevé par elle pour ne jamais commettre un seul péché mortel, et de la suavité duquel s’échappait une mystérieuse influence, plus puissante sur eux que le Saint-Chrême apporté par les anges à Clovis. […] Cet imberbe, cet enfant d’hier, prit tranquillement le globe bleu de Charlemagne dans une de ses mains et dans l’autre sa Main de justice, et ce fut le ROI ! […] Wallon, « plaident les circonstances atténuantes en faveur du Saint », n’ont pas seulement l’air de se douter de ce qu’eût perdu la Royauté, du temps de Saint Louis, s’il n’avait pas été le Saint qu’il fut, l’enfant sans péché mortel de la Reine Blanche, l’homme qui, sur la terre, a été certainement le plus près, par la ressemblance, de Notre Seigneur Jésus-Christ, et qui fit autant que le peut une créature humaine régner avec lui Jésus-Christ, à une époque qui avait l’amour de Jésus-Christ !

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