Ce genre de création sociale, qui eut tant d’action en France et qui exerça un empire si réel (le salon même de Mme Récamier en est la preuve), ne remonte pas au-delà du xviie siècle. […] « C’est une manière, disait-elle, de mettre du passé devant l’amitié. » Sa liaison avec Mme de Staël, avec Mme de Moreau, avec les blessés et les vaincus, la jeta de bonne heure dans l’opposition à l’Empire, mais il y eut un moment où elle n’avait pas pris encore de couleur. […] Récamier avait essuyé de grands revers de fortune : la première fois au début de l’Empire, la seconde fois dans les premières années de la Restauration.
Pourquoi, demande un historien des théories morales48, chercher à toute force dans les idées des stoïciens un écho des idées chrétiennes, alors qu’on y peut voir un reflet de l’état social de l’Empire ? […] L’expérience a cent fois démenti cette croyance : pas plus que le communisme d’État n’a pu s’installer en Chine, la religion chrétienne aux Indes, la constitution fédérale au Mexique, l’égalité légale n’a pu encore s’imposer aux mœurs dans l’Empire ottoman51. […] Mais si, comme nous avons essayé de le prouver, cette explication est insuffisante, dès lors les apparitions de l’égalitarisme dans des sociétés séparées par le temps, comme l’Empire romain et la République française, ou par l’espace, comme la République française et les États-Unis, sont bien des phénomènes distincts et comparables ; et il est permis de rechercher les antécédents communs qui ont dû provoquer, ici et là, l’apparition des idées égalitaires.
Ainsi, cette rude poésie des vieux âges de Rome, quoique imitée en partie de la Grèce, était une voix vivante qui parlait aux âmes romaines, voix trop forte pour être soufferte, quand viendrait l’empire. […] Enfin un curieux témoignage à la gloire de ce vieux poëte de la république, c’est le brillant abréviateur de l’histoire romaine, le flatteur de l’empire, Velléius Paterculus, écrivant, à une des dates mémorables de son récit : « Dans le cours de cette même époque169, parurent les rares génies d’Afranius dans la comédie romaine, de Pacuvius et d’Accius dans la tragédie, d’Accius élevé jusqu’à l’honneur de la comte paraison avec les Grecs, et digne de se faire une si grande place parmi eux qu’il soit presque impossible de ne pas reconnaître, chez eux plus de perfection, et chez lui plus de verve. » Alors même que cet éloge expressif était arraché au bon goût de Velléius, l’éclat du siècle d’Auguste, l’urbanité nouvelle et aussi les précautions politiques de son règne avaient, selon toute apparence, bien éloigné de la mémoire et de la vue des spectateurs romains les drames de la vieille école. […] Ce genre d’exposition muette dut prospérer de plus en plus ; et le peu de nouvelles œuvres tragiques citées sous Auguste, le Thyeste de Varius, la Médée d’Ovide, par les sujets mêmes, traités tant de fois à Rome, ne donnent l’idée que d’un drame d’autant plus bienséant sous l’empire qu’il était plus mythologique et plus loin de la réalité des passions humaines.