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510. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Mais quand madame de Staël écrivait cette page, les maladies d’imagination dont elle voit la peinture dans Werther n’étaient encore qu’au début de leur invasion, pour ainsi dire : un grand nombre d’ouvrages remarquables qui ont la même origine et le même effet que Werther, et une foule bien plus grande de détestables productions puisées à la même source, n’existaient pas. […] C’est que nul n’a su mieux que lui reproduire, avec une parfaite originalité, l’effet de cette poésie Shakespearienne dont l’Allemagne et la France sont aujourd’hui plus enthousiastes que l’Angleterre elle-même. […] La raison en est simple : la France seule s’était faite initiatrice ; l’Allemagne, au contraire, prétendait à l’immobilité, à la conservation, à la durée ; elle ne permettait à l’idéalisme naissant que d’agiter le cœur et la tête de ses enfants sans leur laisser croire à l’effet des idées, à l’activité possible, à la réalisation de l’idéal. […] L’amour de l’Humanité à un haut degré et dans un large sens lui faisant défaut, et l’amour individuel se trouvant lui manquer aussi, en apparence par le simple effet d’un hasard, mais en réalité par l’imperfection des choses d’ici-bas, il tombe sous l’empire exclusif de ce sentiment d’artiste qu’il a pour la Nature. […] Werther est, sous bien des rapports, comme dit madame de Staël, « un roman sans égal et sans pareil » ; c’est une des plus émouvantes compositions de l’art moderne : son effet sur les imaginations jeunes sera donc toujours redoutable ; mais, pour les raisons que je viens de donner, je crois cette lecture plus salutaire à notre époque que dangereuse.

511. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Dans ce sens, il faut convenir que le désordre est un effet de l’art : mais aussi il faut prendre garde de donner trop d’étendue à ce terme. […] J’ajoute l’élégance et la briéveté, sans lesquelles tout cet assemblage manqueroit encore son effet : mais en les y joignant, où rassemblera-t-on ces trois qualités que je viens de dire, qu’on n’y sente aussi-tôt le sublime ? […] Le moyen sans nouveauté de produire ces grands effets ? […] Les grandes idées sont encore essentielles au sublime ; car ce n’est pas assez qu’il plaise, il doit élever l’esprit, et c’est précisément cet effet qui le caractérise. […] Que vous ayez réveillé quelque idée, ou quelque image ; si ce que vous ajoutez, ne produit pas un nouvel effet, l’esprit du lecteur tombe aussi-tôt dans l’inaction, et son oreille même n’est plus flatée de ce qu’il sent d’oisif dans votre ouvrage.

512. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

« On n’envisage d’ordinaire la science, — lisons-nous dans L’Avenir de la science, — que par ses résultats pratiques et ses effets civilisateurs. […] Si nous ne pouvons pas tout connaître de l’Inconnaissable, il n’est pas contradictoire d’en vouloir connaître quelque chose, et, au fait, combien n’y a-t-il pas de causes ou de forces que nous ne connaîtrons jamais en elles-mêmes, quoique nous en connaissions, et même que nous en gouvernions les effets ? […] « Plus s’est étendue notre connaissance des faits et des lois, écrivait récemment l’un des plus sérieux adversaires de la théorie de l’inconnaissable, plus s’est épaissi le mystère des forces dont nous mesurons au dehors les effets comme mouvemens, et qui répondent en nous à des sensations avec lesquelles nous ne pouvons leur imaginer aucune similitude de nature.Nous nous voyons bien plus loin que ne croyaient l’être les anciens savans ou philosophes de comprendre ce que c’est que la chaleur. […] La réduction, admise aujourd’hui de l’unique objet déterminable aux phénomènes mécaniques, forme extérieure de tous les inconnus, ce grand progrèspour lascience, est, à vrai dire, l’abandon de toute espérance de lui faire atteindre le fond des choses11. » C’est le point de vue même de l’agnosticisme, et l’Inconnaissable est précisément « le mystère de ces forces dont nous mesurons les effets », sans en pouvoir définir la nature. […] L’agnosticisme a produit cet effet de resserrer la science dans les frontières de son territoire, et de soustraire, par conséquent, à sa superbe domination ce champ de l’inconnaissable qu’elle s’était arbitrairement annexé.

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