Ce qui est bien, c’est ce qui amuse. » Alors, amuser un public, c’est là le rêve qui exalte un artiste dans l’enfantement de son drame ; toute l’esthétique théâtrale ne tend qu’à découvrir la meilleure recette, celle qui assure le maximum d’hilarité ou d’émotion. […] Faut-il donc, au théâtre comme ailleurs, renoncer au critérium chancelant du suffrage universel, estimer que la beauté des drames ne se mesure pas aux nombres des représentations ou aux chiffres des encaissements, bien que ces nombres et ces chiffres attestent, d’un témoignage mathématique, irrécusable, le jugement du vrai public ? […] Car l’idée comprend et le choix de la forme d’art adéquate : statue, drame, symphonie, et l’ouvrage lui-même dans l’harmonie de son ensemble et le détail de ses parties. […] Les drames hétéroclites des Dumas ne sont-ils pas aussi indifférents que les vaudevilles soignés des Scribe ? […] Ils abusèrent de la pacotille ; et la rue Saint-Denis elle-même commence à s’apercevoir qu’on lui vendait de la camelote, et rechigne accepter les drames brûlés et les vaudevilles mauvais teint.
ce sera des drames encore qu’il fera et qu’il pourra entamer à ses risques et périls, plutôt que des romans. Le drame est plus court, plus concentré, plus fictif ; il est plus à la merci d’un seul événement, d’une seule idée ; l’exaltation en dispose aisément ; il peut se détacher, s’arracher davantage du fond de la vie commune. Je ne dis pas que ce drame, fait à dix-huit ans, sera le meilleur et le plus mûr ; mais c’est celui par lequel le jeune homme débute, c’est la première manière de Schiller. Quant au roman, encore une fois, où il n’offrira que l’analogue de cette espèce de drame, et sera de même héroïque, trempé de misanthropie, candide ou amer, tranché sans nuances, avec les inconvénients particuliers d’un développement plus continu ; ou bien il faudra l’ajourner jusqu’à une époque plus rassise, après la pratique des hommes et l’épreuve des choses.
Depuis que le marquis de Luzan a mis en castillan l’Art poétique de Boileau et le Préjugé à la mode de La Chaussée, la plupart des écrivains sont afrancesados : à la comedia nationale succèdent le drame larmoyant, la tragédie pompeuse, la comédie à la façon de Molière, ou plutôt de Destouches ou de Picard580. […] Le drame anglais585, à qui La Chaussée ne doit pas grand’chose, exerce une sensible influence sur Diderot, Saurin et d’autres : il donne l’idée et le goût d’effets plus intenses, plus brutaux, d’un pathétique plus nerveux et plus matériel, d’une action plus familière, liant l’impression sentimentale à la minutieuse reproduction des détails de la vie domestique. […] Diderot est le véritable créateur du théâtre allemand : les théories et les drames de Lessing en viennent. […] Sans doute, à la fin du siècle, les œuvres des Allemands commencent à pénétrer chez nous : on adapte, on traduit leurs drames, on s’enthousiasme pour le Werther de Gœthe589, pour les idylles de Gessner.