Rémond, menait plus loin qu’Hélène ; elle répandait une joie si douce et si vive, un goût de volupté si noble et si élégant dans l’âme de ses convives, que tous les âges et tous les caractères paraissaient aimables et heureux. […] Cette aînée de Saint-Cyr, cette sœur d’Esther, et qui ne se tint pas à ce rôle si doux, est comme la dernière fleur qu’ait produite l’époque finissante de Louis XIV, et elle ne s’est ressentie en rien de l’âge suivant.
Si elle rencontre un personnage historique, elle le met à l’unisson des gens de sa connaissance ; elle nous dira de Brutus, de celui qui condamna ses fils et qui chassa les Tarquins, qu’il était né « avec le plus galant, le plus doux et le plus agréable esprit du monde » ; et du poète Alcée, elle dira que c’était « un garçon adroit, plein d’esprit et grand intrigueur ». […] Mais ce qu’il y a de plus nécessaire pour la rendre douce et divertissante, c’est « qu’il y ait un certain esprit de politesse qui en bannisse absolument toutes les railleries aigres, aussi bien que toutes celles qui peuvent tant soit peu offenser la pudeur… Je veux encore qu’il y ait un certain esprit de joie qui y règne. » Tout cela est assurément aussi bien dit et aussi agréable que judicieux, comme ne manque pas de le remarquer l’un des personnages de l’entretien.
Exceptons cependant, pour nous consoler, l’amitié, la reconnaissance, tous les bons sentiments, tous ceux surtout qui sont faits pour unir les hommes estimables. » Au milieu de tout ce qu’il a rencontré en Russie d’honorable et même de doux : « Cependant, pense-t-il, il y a deux choses dont le souvenir s’efface difficilement, ou ne s’efface point du tout : le soleil et les amis. » L’idée de ne plus jamais quitter ce pays du Nord l’oppresse : « Le jamais ne plaît jamais à l’homme ; mais qu’il est terrible lorsqu’il tombe sur la patrie, les amis et le printemps ! […] Après 1815, quand la maison de Savoie est rétablie dans son antique héritage, M. de Maistre, à la veille de rentrer dans sa patrie, mais lésé lui-même dans sa fortune et à peu près ruiné dans son patrimoine, ne forme plus que le vœu du patriarche ; il nous laisse voir l’unique fond de son désir au milieu de cet ébranlement de l’Europe, où le volcan ne se ferme d’un côté que pour se rouvrir d’un autre : « Ma famille, mes amis et mes livres suffisent aux jours qui me restent, et je les terminerais gaiement si cette famille ne me donnait pas d’affreux soucis pour l’avenir. » Faisant allusion à cette vivacité qu’il portait volontiers en tout, et dont il ne prétend pas s’excuser : Cependant, écrivait-il à un ami, si j’avais le plaisir de vivre quelque temps avec vous sous le même toit, vous ne seriez pas peu surpris de reconnaître en moi le roi des paresseux, ennemi de toute affaire, ami du cabinet, de la chaise longue, et doux même jusqu’à la faiblesse inclusivement !