Ses lettres, après la mort de Robert, ont la candeur de l’étonnement et de la douleur, mais aucun remords ne s’y mêle aux profonds regrets. […] XXIX La perte de son ami causa une profonde douleur à Robert ; cette douleur même le rendit plus empressé à consoler le deuil de la princesse. […] Son mari est un de ces deux beaux et vigoureux marins, tout pensifs, qui se préparent au départ ; elle ne les regarde déjà plus, car elle ne verrait plus à travers ses larmes ; ses joues sont pâles et fanées de sa douleur ; mais cette douleur est calme et belle comme l’habitude de la résignation dans une profession qui vit de périls mortels. […] Il finit par leur donner à toutes cette impression de terreur tragique ou de douleur anticipée qui en fait un drame pathétique, intelligible au premier regard, et indélébile dans le souvenir une fois qu’on l’a regardé. […] Quand on mesure par la pensée tout ce qu’il y a de sensibilité dans ses deux œuvres capitales : les Moissonneurs et les Pêcheurs de l’Adriatique ; quand on le voit passer, comme par une gamme prodigieuse, des impressions humaines de l’excès de vie, de jeunesse, d’amour, de bonheur, dans le char des Moissonneurs, à l’excès de mélancolie et d’abattement dans la barque des Pêcheurs ; quand on parcourt la distance morale qu’il y a de la figure de la fiancée couronnée d’épis et de pavots, dansant devant les bœufs du tableau de la Madonna dell’Arco, à la figure de la jeune épouse transie des frissons du départ, pressant son nourrisson dans ses bras, ou à la figure de la femme âgée et mourante, voyant partir pour la première fois ses deux petits-fils et voyant partir, pour la dernière fois aussi, le mari vieilli de ses beaux jours, qu’elle ne verra plus revenir, on comprend tout ce qu’a dû sentir, dans la moelle de ses nerfs, le peintre capable d’avoir exprimé ainsi les deux pôles extrêmes de la sensibilité humaine : l’excès de la félicité, l’excès de la douleur.
Plus je fais effort pour me rappeler une douleur passée, plus je tends à l’éprouver réellement. […] La question est de savoir si le souvenir de la douleur était véritablement douleur à l’origine. […] Si le souvenir d’une grande douleur, par exemple, n’est qu’une douleur faible, inversement une douleur intense que j’éprouve finira, en diminuant, par être une grande douleur remémorée.
Le bien et le mal deviennent des mots vides de signification ; le beau et le laid, le plaisir et la douleur, voilà toute la loi. […] Qu’il me donne la force de lutter contre mes douleurs ? […] » Il se peut que l’excès de la misère tienne quelquefois lieu d’excuse à celui qui, égaré par la douleur, porte sur lui des mains violentes. […] Ces deux sentiers sont la douleur et l’amour 122. » La douleur ! […] Comparez-vous les travaux, les douleurs, les héroïsmes d’une mère de famille à ceux d’une prostituée ?