Comme les de Goncourt nous donnent les misères de l’âme et des sens, dans cette époque sans âme et sensuelle, Monselet nous donne les misères de l’intelligence. […] … Après Desforges, Gorgy, Dorvigny, la Moreney, Plancher-Valcour, Baculard d’Arnaud, Grimod de la Reynière, Cubières, Olympe de Gouges, le chevalier de la Molière, le chevalier de Mouhy, quel indigent, quel pauvre honteux ou effronté de la littérature du xviiie siècle, un curieux bienfaisant qui donne l’obole d’une biographie à des ombres peut-il évoquer ? […] C’est justement le fossoyeur d’Hamlet, — un aimable et solide garçon, un good fellow s’il en fut oncques, et qui en vieillissant a continué de plaisanter, mais à la plaisanterie duquel l’habitude de creuser des trous dans la terre et d’y mettre ou d’en ôter des morts a donné une profondeur et un caractère très particuliers, mais puissants… Eh bien, est-ce que le temps du rieur d’Hamlet, de ce creuseur de fosses qui voit toutes les espèces de creux, serait arrivé pour Monselet, ce travailleur aussi après décès, comme le fossoyeur de Shakespeare ?
Mais il ne faudrait pas en faire un petit… Il y aurait, dans un pareil ouvrage, un regard profond et détaillé à porter sur les travaux d’ensemble de cette corporation littéraire à qui on avait donné la langue à garder, et sur le mérite de chacun des esprits qui à toute époque la composèrent. […] Si Livet avait eu quelque généreuse initiative, telle est l’histoire de l’Académie qu’il nous eût donnée. […] Évidemment, il y a moins de cérémonies, moins de circonlocutions, moins de révérences en toutes choses, dans l’expression et dans le geste de la pensée, et la politesse, qui force souvent à être fin, quand elle n’est pas un prosternement vulgaire, donne précisément à l’abbé d’Olivet cette finesse qui pince sans avoir l’air d’y toucher, et qui est une grâce dans son hypocrisie transparente. […] III Qu’importe, en effet, toute cette poudre de bibliothèque que Livet nous donne grain à grain, après d’Olivet et Pélisson, et à laquelle il ajoute la poudre de ses petites annotations !
Il n’y a qu’une seule chose qui puisse donner une idée juste de cet écrivain, qui ressemble au magistrat irréprochable de la chanson et qui a si bon air dans sa phrase correcte, exacte, nette comme du français, une petite phrase despote qui nous plaît, et cette chose, la voici. […] Enfin, s’il n’y affirme aucun de ses symboles, le tempérament de son esprit, ce tempérament vainqueur de tout et qui donne la clef de ce qu’on tient le plus enfermé au fond de sa pensée, ferait croire qu’il est bien au-dessus des préjugés, des éducations et des opinions collectives de son métier. […] Il donnerait des poètes de société et des hôtels de Rambouillet que, par parenthèse, M. […] Nous lui dirions enfin qu’il est bien dur envers les hommes de verve et de fantaisie, bien dur envers ce charmant et pauvre Caprice qui va tout à l’heure donner La Fontaine à la France, La Fontaine, aussi étonnant que le grand Corneille !