Si le Christ s’est fait homme pour mourir sur la croix et racheter le genre humain, il n’a pas renoncé sans retour à sa nature divine ; il est remonté vers son père et doit juger un jour les hommes qu’il a sauvés. […] La justice divine ne tient pas compte de la couleur du suppliant. […] L’âme heureuse ou affligée, fière ou abattue, n’aperçoit pas l’idée divine sous le même aspect, et cela suffit pour faire de l’idée divine le thème de chants très différents. […] En écrivant Jéhovah, il ne se proposait pas de nous montrer la place infiniment petite de l’humanité dans la création ; il voulait célébrer la puissance divine. […] Je regrette seulement que M. de Lamartine, dont l’imagination se prête si heureusement à la peinture de la grandeur divine, n’ait pas compris le danger des termes techniques.
Il est vrai qu’aucun des concepts multiples ne saurait exister à part, tel quel, dans l’unité divine : c’est en vain qu’on chercherait les Idées de Platon à l’intérieur du Dieu d’Aristote. […] D’abord, il suffit de la plus légère diminution du premier principe pour que l’être soit précipité dans l’espace et le temps, mais la durée et l’étendue qui représentent cette première diminution seront aussi voisines que possible de l’inextension et de l’éternité divines. Nous devrons donc nous figurer cette première dégradation du principe divin comme une sphère tournant sur elle-même, imitant par la perpétuité de son mouvement circulaire l’éternité du circulus de la pensée divine, créant d’ailleurs son propre lieu et, par là, le lieu en général 102, puisque rien ne la contient et qu’elle ne change pas de place, créant aussi sa propre durée et, par là, la durée en général, puisque son mouvement est la mesure de tous les autres 103. […] Un divin mécanisme faisait correspondre, chacun à chacun, les phénomènes de la pensée à ceux de l’étendue, les qualités aux quantités et les âmes aux corps. […] C’est, si l’on veut, un Dieu formel, quelque chose qui n’est pas encore divin chez Kant, mais qui tend à le devenir.
Là encore, il a l’honneur, du moins, de devancer la plus noble des imitations modernes, André Chénier dans cette belle élégie : Ô Muses, accourez, solitaires divines… Mais n’allons point nous amuser, après tant d’années, à épeler de nouveau Du Bellay pour les quelques bons vers ou les quelques passables strophes de sa première manière ; c’est dans sa seconde qu’il devint tout à fait lui-même ; que, croyant la gageure perdue et détendant son effort, il se mit à chanter pour lui et pour quelques-uns dans une note plus voisine de son cœur ; et dès lors, l’expérience aidant, le sentiment intime l’emportant sur la volonté et sur le parti pris, il trouva sa veine. […] Il était aux premières loges pour décrire un conclave ; il ne s’en fait faute, et l’on a en quatorze vers la réalité mouvante du spectacle, la brigue à huis clos, les bruits du dehors, les fausses nouvelles, les paris engagés pour et contre : Il fait bon voir, Pascal, un conclave serré, Et l’une chambre à l’autre également voisine D’antichambre servir, de salle et de cuisine, En un petit recoin de dix pieds en carré ; Il fait bon voir autour le palais emmuré, Et briguer là dedans cette troupe divine, L’un par ambition, l’autre par bonne mine, Et par dépit de l’un être l’autre adoré ; Il fait bon voir dehors toute la ville en armes, Crier : Le Pape est fait ! […] L’ennui l’assiège, et la goutte assassine, Rongeant les nœuds de ses doigts inégaux, Va se cacher sous la bague divine Dont la vertu guérit de tous les maux.