Celui-ci étoit fort jeune lorsqu’il débuta dans les Lettres par la Tragédie de Coligni, & par des Poésies légeres dont il prépare une édition plus digne du Public, que celle qui a paru en trois volumes, & qu’il désavoue. […] Ce sont-là les vrais Philosophes dignes de l’estime des Citoyens ; & non ces esprits audacieux & inquiets, qui se font un jeu de détruire ce qu’il y a de plus respectable, & dont l’objet principal est de se faire remarquer par la singularité de leurs idées.
Parmi tant de vicissitudes & de distractions, il est étonnant qu'il soit sorti de sa plume un si grand nombre de Pieces dignes de rester au Théatre, & revues avec plaisir. […] Une imagination vive & gaie, un bon sens exquis, une connoissance bien étendue du Théatre, le naturel du dialogue, un art admirable de saisir les ridicules & de les peindre dans leur jour le plus brillant, la rendront toujours digne d'être proposée pour modele.
Après la mort de cette dame et pendant les premiers temps de la retraite que fit Rancé à sa terre de Veretz, il se développe un peu plus et laisse entrevoir à son digne précepteur quelque chose de l’état de son âme : « Les marques de votre souvenir m’étant infiniment chères, lui écrit-il à la date du 17 juillet 1658, j’ai lu vos deux lettres avec tous les sentiments que je devois, quoique je me sois vu si éloigné de ce que vous imaginez que je suis, qu’assurément j’y ai trouvé beaucoup de confusion. Je vous supplie de ne me la pas donner si entière une autre fois, et de croire que, hors une volonté fort foible de m’attacher aux choses de mon devoir plutôt qu’à celles qui n’en sont pas, il n’y a rien en moi qui ne soit tout à fait misérable et qui ne soit digne de votre compassion bien plus que de votre estime. » C’est en ces termes voilés, mais significatifs pour nous, plus significatifs peut-être qu’ils ne l’étaient pour le bon abbé Favier, que Rancé donne les premiers signes de son repentir. […] J’y trouve assez de goût pour croire que je ne m’ennuierai point de la vie que je fais… » Mais, après cette sorte d’étape et ce premier temps de repos, Rancé se relève et se met en marche pour une pénitence infatigable et presque impitoyable, à l’envisager humainement : « Je vous assure, Monsieur, écrit-il à l’abbé Favier (24 janvier 1670), que depuis que l’on veut être entièrement à Dieu et dans la séparation des hommes, la vie n’est plus bonne que pour être détruite ; et nous ne devons nous considérer que tanquam oves occisionis. » A côté de ces austères et presque sanglantes paroles, on ne peut qu’être d’autant plus sensible aux témoignages constants de cette affection toujours grave, toujours réservée, mais de plus en plus profonde avec les années, qu’il accorde au digne vieillard, son ancien maître ; les jours où, au lieu de lui dire Monsieur, il s’échappe jusqu’au très-cher Monsieur, ce sont les jours d’effusion et d’attendrissement. […] Cela est vrai de l’aveu de Rancé lui-même, et il nous l’exprime à sa manière, quand il dit (lettre du 3 octobre 1675) : « Puisque vous voulez savoir des nouvelles de notre affaire, je vous dirai, quelque juste qu’elle fût, qu’elle a été jugée entièrement contre nous ; et, pour vous parler franchement, ma pensée est que l’Ordre de Cîteaux est rejeté de Dieu ; qu’étant arrivé au comble de l’iniquité, il n’étoit pas digne du bien que nous prétendions y faire, et que nous-mêmes, qui voulions en procurer le rétablissement, ne méritions pas que Dieu protégeât nos desseins ni qu’il les fît réussir. » Il revient en plusieurs endroits sur cette idée désespérée ; son jugement sur son Ordre est décisif : les ruines mêmes , s’écrie-t-il, en sont irréparables .