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109. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Dieux immortels ! […] On vise toujours plus haut que nature ; c’est la preuve de notre future destinée : Vous serez des dieux ! […] « Et la patrie elle-même, ô dieux immortels ! […] Les dieux immortels m’ont accordé des enfants : vous me les avez rendus. […] Rien de ce qui a été déterminé ou par les dieux immortels, ou par notre commune mère, la nature, ne doit être compté pour un mal.

110. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Elles n’avaient point encore l’existence indépendante que leur assurent les lois modernes : mais reléguées avec les dieux pénates, elles inspiraient, comme ces divinités domestiques, quelques sentiments religieux. […] Lorsque les dieux voyageurs demandent à Philémon, dans les Métamorphoses d’Ovide, ce que Baucis et lui souhaitent de la faveur du ciel, Philémon lui répond : Poscimus, et quoniam concordes egimus annos, Auferat hora duos eadem ; nec conjugis unquam Busta mea videam ; neu sim tumulandus ab illa. […] et toi, maître des dieux, Jupiter, ayez pitié du roi d’Arcadie, écoutez les prières paternelles. […] Mais si le sort le menace de quelque accident funeste, ô dieux !

111. (1904) Zangwill pp. 7-90

Tout cela serait fort bon si nous étions des dieux, ou, pour parler exactement, tout cela serait fort bien si nous étions Dieu ; car si nous voulons évaluer les qualités, les capacités, les amplitudes que de telles méthodes nous demandent pour nous conduire à l’acquisition de quelque connaissance, nous reconnaissons immédiatement que les qualités, capacités, amplitudes attribuées aux anciens dieux par les peuples mythologues seraient absolument insuffisantes aujourd’hui pour constituer le véritable historien, l’homme scientifique, — vir scientificus, — le savant moderne ; il ne suffît pas que le savant moderne soit un dieu ; il faut qu’il soit Dieu ; puisque l’on veut commencer par la série indéfinie, infinie du détail ; puisque l’on veut partir d’un point indéfiniment, infiniment éloigné, étranger, puisqu’avant d’arriver au texte même on veut parcourir un chemin indéfini, infini, pour épuiser tout cet indéfini, tout cet infini, l’infinité de Dieu même est requise, d’un Dieu personnel ou impersonnel, d’un Dieu panthéistique, théistique ou déistique, mais absolument d’un Dieu infini ; et nous touchons ici à l’une des contrariétés intérieures les plus graves du monde moderne, à l’une des contrariétés intérieures les plus poignantes de l’esprit moderne. […] Quand l’homme se trouvait en présence de dieux avoués, qualifiés, reconnus, et pour ainsi dire notifiés, il pouvait nettement demeurer un homme ; justement parce que Dieu se nommait Dieu, l’homme pouvait se nommer homme ; que ce fussent des dieux humains ou surhumains, un Dieu Tout ou un Dieu personnel, Dieu étant mis à sa place de Dieu, notre homme pouvait demeurer à sa place d’homme ; par une ironie vraiment nouvelle, c’est justement à l’âge où l’homme croit s’être émancipé, à l’âge où l’homme croit s’être débarrassé de tous les dieux que lui-même il ne se tient plus à sa place d’homme et qu’au contraire il s’embarrasse de tous les anciens Dieux ; mangeurs de bon Dieu, c’est la formule populaire de nos démagogues anticatholiques ; ils ont eux-mêmes absorbé beaucoup plus de bons Dieux, et de mauvais Dieux, qu’ils ne le croient. En face des dieux de l’Olympe, en face d’un Dieu Tout, en face du Dieu chrétien, l’historien était un homme, demeurait un homme ; en face de rien, en face de zéro Dieu, le vieil orgueil a fait son office ; l’esprit humain a perdu son assiette ; la boussole s’est affolée ; l’historien moderne est devenu un Dieu ; il s’est fait, demi-inconsciemment, demi-complaisamment, lui-même un Dieu ; je ne dis pas un dieu comme nos dieux frivoles, insensibles et sourds, impuissants, mutilés ; il s’est fait Dieu, tout simplement, Dieu éternel, Dieu absolu, Dieu tout puissant, tout juste et omniscient. […] Ce seraient là des espèces de dieux ou dévasé, êtres décuples en valeur de ce que nous sommes, qui pourraient être viables dans des milieux artificiels. […] Dans sa grande franchise et netteté universitaire il passe d’un énorme degré les anticipations précautionneuses de Renan ; Renan ne donnerait pas prise à de tels reproches ; il ne donnerait pas matière à de telles critiques ; il ne donnerait pas cours à de tels ridicules : Renan n’était point travaillé de ces hypertrophies : lui-même il endossait trop bien le personnage de ses adversaires, de ses contradicteurs, de ses critiques éventuels ; toute sa forme de pensée, toute sa méthode, tous ses goûts, tout son passé, toute sa vie de travail, de mesure, de goût, de sagesse le gardaient contre de telles exagérations ; il n‘a jamais aimé les outrances, et, juste distributeur, autant et plus averti sur lui-même que sur les autres encore, il ne les aimait pas plus chez lui-même et pour lui-même qu’il ne les aimait chez les autres ; il aimait moins les outrances de Renan que les outrances des autres, peut-être parce qu’il aimait Renan plus qu’il n’aimait les autres ; comme Hellène il se méfiait des hommes, et des dieux immortels ; comme chrétien, il se méfiait du bon Dieu ; comme citoyen, il se méfiait des puissances ; et comme historien, des événements ; comme historien des dieux, et de Dieu, mieux que personne il savait comment en jouer, et quelles sont les limites du jeu ; il était un Hellène, un huitième sage ; il connaissait d’instinct que l’homme a des limites ; et qu’il ne faut point se brouiller avec de trop grands bons Dieux ; il s’était donc familièrement contenté de donner à l’humanité, à l’historien, les pouvoirs du Dieu tout connaissant ; il n’eût point mis à son temple d’homme un surfaîte orgueilleux et qui bravât la foudre.

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