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719. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

La correspondance de Frédéric et de Jordan commence en mai 1738, avant que Frédéric soit devenu roi ; ce sont des vers que le prince lui envoie à corriger et à raturer, des plaisanteries de société, des riens. […] À peine revenu à Potsdam, Frédéric écrit à Jordan : « Tu me trouveras bien bavard à mon retour ; mais souviens-toi que j’ai vu deux choses qui m’ont toujours beaucoup tenu à cœur, savoir : Voltaire et des troupes françaises. » Voilà, en effet, les deux passions de Frédéric, et qui se disputeront toute la première moitié de sa carrière de roi : la guerre et l’esprit ; être un grand poète, devenir un grand capitaine ! […] Il ne se trompe que sur un point, sur la qualité de poète qu’il s’attribue ; mais il y a dans ce premier étonnement d’être devenu capitaine quelque chose d’imprévu et de piquant, et qui jette de la lumière sur le procédé de formation et sur la nature intérieure de Frédéric. […] Je ne sais ce que je deviendrai. […] De quatorze ans plus âgé que Frédéric, Fouqué était, comme Jordan, fils d’un réfugié français ; il avait de bonne heure témoigné au prince royal beaucoup d’affection et de dévouement, avait obtenu la permission de l’aller visiter pendant sa détention au fort de Custrin, avait été de la société intime de Remusberg, et était devenu l’un des plus habiles lieutenants de Frédéric dans ses guerres de Silésie et dans celle de Sept Ans.

720. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

D’abord, la contiguïté de fait dans l’espace et dans le temps est chose tout extérieure : il faut, pour qu’il y ait liaison d’idées, que la contiguïté devienne cérébrale et mentale. De même, la ressemblance de fait entre les objets, ressemblance qui d’ailleurs n’existe que pour une conscience et dans une conscience, ne pourra devenir un lien que si elle réussit à produire, comme telle, quelque effet déterminé dans le cerveau et dans la conscience. […] La contiguïté même devient toujours, pour la conscience, une certaine similarité : le seul fait de s’apercevoir que des choses disparates coïncident, comme une vive lumière, un son, une douleur, est déjà une conscience de similitude au sein de la différence. […] Ainsi donc, outre que la conscience, par l’appétition, est la force primitive d’association mentale, c’est encore elle qui, en réagissant sur les associations arrivées du dehors, devient la force principale de dissociation et d’analyse. […] Après avoir été surtout, à l’origine, un témoin de la lutte des idées, la conscience finit par être la principale force de sélection parmi les idées ; elle tend même à devenir de plus en plus dominante dans l’humanité : purement imitatrice au début, elle devient en un sens créatrice.

721. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1873 » pp. 74-101

Ce Bescherelle, plus complet, est devenu une espèce de bon dieu, au milieu des réclames et des dévotions de la gent libre-penseuse. […] La pâleur de François Hugo devient verte. […] Là, se mettait à courir un danseur comique, dont chacune des poses devenait derrière lui, un arbre gardant le dessin ridicule et contorsionné du danseur. […] Dans ce pays, qu’est-ce qu’il arrive, lorsque les instincts du jeune homme sont par trop scientifiques, il se met dans une carrière satisfaisant à moitié ses goûts, à moitié son désir d’enrichissement, il devient ingénieur de chemin de fer, directeur d’usine, directeur de produits chimiques… Déjà cela commence à arriver en France, où l’École polytechnique ne fait plus de savants. » Et la conversation continuant, Berthelot ajoutait : « Que la science moderne, cette science qui n’a guère que cent ans de date, et qu’on dote d’un avenir de siècles, lui semblait presque limitée par les trente années du siècle dans lequel nous vivons. […] Je me promène aujourd’hui dans cette maison qui s’arrange, fait sa toilette, devient un nid d’art, et mon plaisir est tout triste, qu’il ne soit pas là, pour en jouir, pour lui aussi promener, dans ces pierres reluisant neuf, sa jolie gaîté d’autrefois.

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