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609. (1926) L’esprit contre la raison

La libre navigation de Crevel devient au cours de l’été 1924 une contradiction vécue, un déchirement entre des présupposés incompatibles, que l’écriture doit fouiller, éclaircir, dialectiser. […] Un Julien Sorel, par exemple, qui n’a point trouvé son salut dans la froide ambition, par son crime nous montre comment un fait divers devient un fait lyrique. […] Cette mésentente même pourrait devenir un idéal, car dans le divorce de l’être et de son esprit se trouve la garantie contre la corruption du plus sérieuxz. […] Où commence-t-elle à devenir mauvaise et où s’arrête la sécurité de l’esprit ? […] Crime contre l’esprit et reniement du plus précieux, la pensée devenue art d’agrément comme la mandoline de la fille de la concierge et, à la fin du compte, voleur volé, fausseté, ennui de qui a si fort voulu ne pas être dupe.

610. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

À mesure qu’il devient naturaliste, il l’abandonne ; il ne le suit déjà plus pour les oiseaux, il ne le suit plus du tout pour les singes. […] Il y avait, du temps de Buffon et de son âge, un homme avant lui illustre, un homme né naturaliste comme d’autres naissent musiciens, peintres ou géomètres, un homme dont le nom est devenu celui de la science même, le Suédois Linné. […] « Buffon, disait Linné vers la fin de sa vie, n’a point recalé les bornes de la science, mais il sut la faire aimer ; et c’est aussi la servir utilement. » Cet éloge ne dit point assez sans doute : voyons-y du moins une sorte de réparation accordée par le prince des botanistes, par le naturaliste qui l’était de naissance et de pur génie, à celui qui l’était devenu par volonté et qui régna, lui aussi, du droit du génie et de la puissance. […] Quoi qu’il en soit, il ne perd aucune occasion de critiquer Réaumur, et pour le fond des idées et pour la forme ; il lui reproche de se noyer dans une immensité de paroles : et en effet Réaumur, lu à côté de Buffon, a le style bien diffus et bien prolixe ; il l’a cependant clair et naturel, et, quand il parle des abeilles, il devient agréable. […] Mais Buffon a beau faire, il a beau traiter avec assez peu d’égards « le peuple des naturalistes », il a beau, à l’occasion d’un détail concernant les intestins des oiseaux de proie, dire en grand seigneur : « Je laisse aux gens qui s’occupent d’anatomie à vérifier plus exactement ce fait », il est devenu naturaliste lui-même, au sens le plus exact du mot.

611. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Cette savante édition, devenue la base des autres qui ont suivi et qu’elle rendait faciles, n’était pas exempte toutefois de quelques fautes d’inadvertance et même d’étourderie, s’il est permis d’appliquer un mot si léger au respectable érudit à qui on la devait ; M.  […] Son fils, qui devint bientôt M. le Prince, était un homme d’esprit qui avait, quand il le voulait, bien du fin et du galant avec le génie des fêtes, d’ailleurs le plus capricieux, le plus singulier des hommes, au point de paraître atteint de manie. […] Gourville, l’homme entendu, était devenu le gouverneur et le maître des affaires du grand Condé, et il y avait remis l’ordre. […] Reçu dans la même séance que l’abbé Bignon, qui n’avait d’autre titre que son nom et sa naissance, La Bruyère, se levant après lui et prenant la parole, montra qu’il pouvait à la fois rester peintre de caractères et devenir orateur. […] La petite Michallet, ainsi dotée, épousa un homme de finance nommé Jully qui devint fermier général et qui sut rester honnête homme : il eut de sa femme, le jour du mariage, plus de cent mille livres argent comptant.

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