Une lettre de février 93, écrite par elle de Leipsick à Bernardin de Saint-Pierre199, prouve seulement que de grandes douleurs personnelles, la mort d’un père, quelque secret déchirement d’une autre nature peut-être, le climat aussi de Livonie, avaient, durant les quatorze derniers mois, porté dans cette organisation nerveuse un ébranlement dont elle commençait enfin à revenir : « La fièvre qui brûlait mon sang, dit-elle, a disparu ; mon cerveau n’est plus affecté comme il l’était autrefois, et l’espérance et la nature descendent derechef sur mon âme soulevée par d’amers chagrins et de terribles orages. […] Delphine est certainement un livre plein de puissance, de passion, de détails éloquents ; mais l’ensemble laisse beaucoup à désirer, et, chemin faisant, l’impression du lecteur est souvent déconcertée et confuse : les livres, au contraire, qui sont exécutés fidèlement selon leur propre pensée, et dont la lecture compose dans l’esprit comme un tableau continu qui s’achève jusqu’au dernier trait, sans que le crayon se brise ou que les couleurs se brouillent, ces livres, quelle que soit leur dimension, ont une valeur d’art supérieur, car ils sont en eux-mêmes complets. […] On sait quelles furent alors les vicissitudes politiques de l’illustre publiciste ; ses sentiments religieux n’étaient pas moins agités, et, à cette limite extrême de la jeunesse, revenant à la charge en lui, ils livraient comme un dernier combat. D’autres troubles secrets s’y joignaient, et formaient un autre dernier orage. […] (Voir Derniers Portraits, ou au tome III des Portraits littéraires, édit. de 1864.)
George Farcy72 La Révolution de Juillet a mis en lumière peu d’hommes nouveaux, elle a dévoré peu d’hommes anciens ; elle a été si prompte, si spontanée, si confuse, si populaire, elle a été si exclusivement l’œuvre des masses, l’exploit de la jeunesse, qu’elle n’a guère donné aux personnages déjà connus le temps d’y assister et d’y coopérer, sinon vers les dernières heures, et qu’elle ne s’est pas donné à elle-même le temps de produire ses propres personnages. […] Ta confidence est déjà pour lui un mauvais exemple et une excuse. » Et encore : « Ne nous plaignons jamais de notre destinée : qui se fait plaindre se fait mépriser. » Mais nous avons trouvé, dans un journal qu’il écrivait à son usage, quelques détails précieux sur cette année de solitude et d’épreuves : « J’ai quitté Londres le lundi 2 juin 1828 ; le navire George et Mary, sur lequel j’avais arrêté mon passage, était parti le dimanche matin ; il m’a fallu le joindre à Gravesend : c’est de là que j’ai adressé mes derniers adieux à mes amis de France. […] je vous le promets, dit-elle en souriant ; soyez donc sage. » Et Ghérard le lui jura, en baisant sa main qu’il pressa sur son cœur. » Durant les deux derniers mois de sa vie, Farcy avait loué une petite maison dans le charmant vallon d’Aulnay, près de Fontenay-aux-Roses où l’appelaient ses occupations. […] Nous extrayons religieusement ici les dernières pensées écrites sur son journal ; elles sont empreintes d’un instinct inexplicable et d’un pressentiment sublime : « Chacun de nous est un artiste qui a été chargé de sculpter lui-même sa statue pour son tombeau, et chacun de nos actes est un des traits dont se forme notre image. […] Une fois seulement, à un bruit plus violent qui se faisait dans la rue, il parut craindre que le peuple n’eût le dessous et ne fût refoulé ; on le rassura ; ce furent ses dernières paroles ; il mourut calme et grave, recueilli en lui-même, sans ivresse comme sans regret. (29 juillet 1830.)
Jouffroy Il y a une génération qui, née tout à la fin du dernier siècle, encore enfant ou trop jeune sous l’Empire, s’est émancipée et a pris la robe virile au milieu des orages de 1814 et 1815. […] En montant par un certain versant et par des sentiers bien choisis, on arrive au plus haut sans rien découvrir, et, au dernier pas exactement qui vous porte au plateau du sommet, tout se déclare. […] M. de Rémusat, qui traita presque seul la politique des derniers mois avant Juillet, durant la prison de M. […] Quand les quinze ou vingt auditeurs s’étaient rassemblés lentement, que la clef avait été retirée de la porte extérieure, et que les derniers coups de sonnette avaient cessé, le professeur, debout, appuyé à la cheminée, commençait presque à voix basse, et après un long silence. […] Nous ne croyons pas nous tromper en disant que cette dernière pièce a été également inspirée par lui. — Dans une dernière édition de Joseph Delorme (1861), on peut lire (page 299) une lettre de Jouffroy adressée à l’auteur ; il s’était en partie reconnu.