Le génie de Racine n’a pas été une certaine précocité extraordinaire, qui s’est épuisée de bonne heure en fruits hâtifs ; faible et petit d’abord, il s’est fortifié, il a crû par degrés commençant par la Thébaïde et finissant par Athalie. […] L’esprit de comparaison, qui nous aide à porter des jugements exacts sur les écrivains, deviendrait un travers si nous voulions donner des rangs à ceux qui sont hors de rang, et distinguer des degrés dans la perfection. […] Aussi disait-il, pour marquer le dernier degré d’avancement de ses pièces : « Je n’ai plus que les vers à faire. » Mot profond, qu’on n’attendait guère du poète qui passe pour avoir donné le plus de soin aux vers. […] Il ne les prenait point pour des lois antérieures à la tragédie, mais pour des effets, pour des degrés de ressemblance avec la réalité, dont les poètes de l’antiquité avaient donné des exemples, et ses critiques la théorie. […] De tous les chefs-d’œuvre de notre scène, aucun n’a eu au même degré cette fortune unique de ne réussir pas moins à la représentation qu’à la lecture.
Supposez qu’un art fût assez puissant pour éveiller des sensations olfactives : il serait contraint à en éveiller d’exclusivement agréables ; ainsi en est-il, à un moindre degré, pour les arts qui provoquent des sensations visuelles intenses ; ils peuvent même réveiller par association une foule de sensations olfactives, tactiles, etc. ; aussi ces arts sont-ils forcés d’être beaucoup plus réservés dans leurs représentations. […] C’est après un certain temps écoulé qu’on juge bien la valeur de telle impression esthétique (causée, je suppose, par la lecture d’un roman, la contemplation d’une œuvre d’art ou d’un beau paysage) ; tout ce qui n’était pas puissant s’efface ; toute sensation ou tout sentiment qui, outre l’intensité, ne présentait pas un degré suffisant d’organisation intérieure et d’harmonie se trouble et se dissout ; au contraire, ce qui était viable, vit ; ce qui était beau ou sublime s’impose et s’imprime en nous avec une force croissante. […] Toutefois, en animant ainsi la nature, il est essentiel de mesurer les degrés de vie qu’on lui prête. […] Si, en vertu de cette loi d’évolution, la vie pénètre et ondoie partout, son niveau ne monte pourtant que par degrés, suivant un étiage régulier. […] La poésie doit aller dans le sens et selon les degrés de l’évolution scientifique, graduer tous ses points de comparaison, grandir les êtres et la vie qui est en eux sans les déformer, sans en faire des monstres aussi ridicules dans l’ordre de la pensée que dans celui de la nature.
En se plaçant à ce point de vue, on apercevrait une série de transitions, et comme des différences de degré, là où réellement il y a une différence radicale de nature. […] Ainsi s’intercalent, comme nous le disions, des transitions et des différences apparentes de degré entre deux choses qui diffèrent radicalement de nature et qui ne sembleraient pas, d’abord, devoir s’appeler de la même manière. […] Elle porta la pensée humaine à son plus haut degré d’abstraction et de généralité. […] Mais nous ne saurions trop répéter que la certitude philosophique comporte des degrés, qu’elle fait appel à l’intuition en même temps qu’au raisonnement, et que si l’intuition adossée à la science est susceptible d’être prolongée, ce ne peut être que par l’intuition mystique. […] Tout de suite surgira le tableau des souffrances qui couvrent le domaine de la vie, depuis le plus bas degré de la conscience jusqu’à l’homme.