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546. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Champfleury ; Desnoireterres »

Isolant chaque détail de la masse, allant sans discernement et sans choix d’un objet quelconque à un objet quelconque, comme l’enfant, mené par son désir innocent de prendre chaque chose et de la saisir dans sa vulgarité complète, égaré par cette manie de touche-à-tout, il enfile toutes les venelles qui se présentent à sa flânerie dans ce récit sans raison d’être, sans unité de composition et sans but !

547. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Des passions nouvelles se dessinèrent ; des désirs confus, un vague malaise ont succédé, qui, chez une nation mobile, sont peut-être pires que les passions mêmes. Ces ennuis et ces désirs compliquent la situation présente, tout comme les passions d’alors compliquaient cette disposition rationnelle d’autrefois ; et si l’on voulait prêter l’oreille aujourd’hui à l’instinct public pour savoir au juste ce qu’il demande, on serait vraiment fort embarrassé de le dire et de lui répondre. […] Quelle plus fine et plus piquante raillerie que celle qu’il fait de ces honnêtes bourgeois de la république des lettres, gens à idées rangées, bornés d’ambition et de désirs, satisfaits du fonds acquis, et trouvant d’avance téméraire qu’on prétende y rien ajouter : « Ce sont, dit-il en demandant pardon de l’expression, des esprits retirés, qui ne produisent et n’acquièrent plus ; mais ils ont cela de remarquable qu’ils ne peuvent souffrir que d’autres fassent fortune. » Relevant le besoin de nouveauté qui partout se faisait sourdement sentir, et qui s’annonçait par le dégoût du factice et du commun, ces deux grands défauts de notre scène  : « Qu’il paraisse, s’écriait-il, une imagination indépendante et féconde, dont la puissance corresponde à ce besoin et qui trouve en elle-même les moyens de le satisfaire, et les obstacles, les opinions, les habitudes ne pourront l’arrêter. » Bien des années se sont écoulées depuis, non pas sans toutes sortes de tentatives, et le génie, le génie complet, évoqué par la critique, n’a point répondu : de guerre lasse, un jour de loisir, M. de Rémusat s’est mis, vers 1836, à faire un drame d’Abélard, qui, lorsqu’il sera publié (car il le sera, nous l’espérons bien), paraîtra probablement ce que la tentative moderne, à la lecture, aura produit de plus considérable, de plus vrai et de plus attachant. […] Si dans les trois dernières années, en effet, il s’était émancipé politiquement, il ne l’avait fait encore que dans une certaine mesure et avec des égards pour les désirs respectés. […] L’artiste enhardi (car il y est devenu artiste) a pris en quelque sorte des portions, des démembrements de lui-même, et les a personnifiés dans des êtres distincts ; il leur a prêté non-seulement ses facultés, mais ses désirs, ses rêves.

548. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Après qu’il eut vu tout en détail, et tout examiné à loisir, Crésus lui adressa ces paroles : « Mon hôte d’Athènes, comme la réputation que vous vous êtes acquise par votre sagesse et par les voyages que vous avez entrepris pour observer, en philosophe, tant de pays divers est venue jusqu’à nous, j’ai le plus grand désir d’apprendre de vous quel est l’homme que vous avez connu jusqu’ici pour le plus heureux. » En faisant cette question, Crésus était persuadé que Solon allait le nommer ; mais Solon, incapable de flatter et qui ne savait dire que la vérité, répondit : « C’est Tellus l’Athénien. » Crésus, surpris, demanda vivement par quelle raison il estimait ce Tellus le plus heureux des hommes […] L’un peut, à la vérité, remplir tous ses désirs, et réparer promptement une perte ou un dommage qu’il éprouve ; mais l’autre, s’il n’a pas la même facilité, est déjà (dans l’état de bonheur où nous le supposons) à l’abri de ces désirs ou de ces pertes. […] Je n’en formais même pas le désir, et j’ai su m’abstenir d’une demande indiscrète. […] Vers ce temps, Harpagus, qui brûlait du désir de se venger de la cruauté d’Astyage, et qui ne pouvait rien tenter par lui-même, comme simple particulier, eut l’idée de s’adresser à Cyrus, et lui envoya des présents.

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