La littérature du xixe siècle ne sera complète qu’au xxe ou au xxie siècle : quand nous ne serons plus, nos héritiers découvriront des penseurs qui auront fait leur tâche parmi nous, à côté de nous, à notre insu. […] C’est ainsi que récemment le Suisse Amiel nous a été découvert après sa mort : type remarquable d’impuissance pratique et d’activité interne, esprit tout occupé à l’analyse de soi, perdant à s’étudier le temps et la faculté d’agir, subtil, pénétrant, triste de clairvoyance aiguë, et, il faut bien le dire, quelquefois insupportable par sa manie de tout compliquer pour décomposer tout933.
Il découvre, chemin faisant, que les Aryas sont des pleutres, qu’il n’y a que les Touraniens, et qu’il est, lui, Touranien Soudain, après une aventure qu’on n’a pas oubliée, il disparaît. […] Richepin, nous ayant raconté la naissance d’un gueux dans un fossé, par la neige, nous jure, « le front découvert, que l’autre (entendez Jésus) n’a pas tant souffert », nous trouvons drôle son grand geste après qu’il s’est si visiblement amusé à nous décrire en rimes triples, avec des mots furibonds, un accouchement pittoresque.
Cette théologie est sans compassion ; elle accable l’homme par la brièveté de ses jugements sommaires, à la différence de la religion, qui découvre d’une main maternelle toutes les plaies du cœur qu’elle va guérir, et qui montre, à côté des ravages du mal originel, les ressources de la nature rachetée. […] On peut douter du miracle mais quoi de plus vraisemblable que certains de ces hommes qui croyaient avoir découvert le secret et le lien des choses, s’infatuassent jusqu’à la folie ?