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666. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Il me serait facile de m’occuper d’abord et uniquement de cette préface, qui, pareille à une conversation rapide, impétueuse, familière, touche à mille points, soulève mille questions, fait dire oui et non à la fois, dessine l’auteur et le livre, et dispense jusqu’à un certain point le critique qui n’a qu’un moment d’aller au-delà. […] Au moment le plus critique de l’expédition, et lorsqu’il s’agit de savoir si après des mois d’attente au fond du Portugal devant les lignes inexpugnables de Torrès-Vedras, sans secours reçus, on passera ou non le Tage, et à quel parti on s’arrêtera, il y a un déjeuner chez le général Loison à Golgao, où, dans une sorte de conseil de guerre amical, on a en présence et en action la physionomie, le caractère et les idées des principaux chefs consultés par Masséna : c’est un récit des plus piquants, et qu’il n’eût tenu qu’à l’historien de rendre plus piquant encore ; mais M.  […] Quant à ses lieutenants qui vers la fin lui font faute par excès de lassitude et se refusent à ce qu’il attendait d’eux pour une revanche possible encore, mais tardive, l’historien dit très bien ici, par une de ces pensées morales qu’il ne prodigue pas, mais qu’il sait aussi rencontrer : « Les hommes habitués au danger le bravent toutes les fois qu’il le faut, mais à condition qu’il ne soit pas sorti de leur pensée et qu’ils y aient à l’avance disposé leur âme. » Dans la relation qu’il fait des diverses opérations de guerre, l’historien ne manque jamais de noter les points faibles et sujets à la critique. J’avoue cependant que, pour mon compte, j’aimerais mieux qu’il insistât moins sur cette partie critique, et qui laisse toujours des doutes dans l’esprit du lecteur non expert. […] Thiers a songé à faire la critique de tant de fausses manières historiques du jour, de tant de figures d’historiens à nous connues ; mais en les voyant de toutes parts, à droite et à gauche de la rive, se réfléchir dans sa parole limpide comme dans un ruisseau, elles ne m’ont jamais paru plus contournées ni plus grimaçantes.

667. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Je lui ferai pourtant une critique en commençant. […] Savant en toute chose, nullement inventeur, possédant les mathématiques, la physique, l’histoire, bon critique, théologien moraliste, peu soucieux de métaphysique ou de dogmes, pratique avant tout, chrétien comme Channing ou comme Locke, le bibliothécaire de Genève, était un sage aimable, discret, nullement ennuyeux. […] Savez-vous bien que, malgré tous nos efforts et nos plaidoiries incessantes (depuis que nous sommes revenus à résipiscence) pour le mérite, l’utilité critique et l’excellence relative de Boileau, ce jugement de M. de Muralt pourrait bien être vrai en définitive, surtout pour ceux qui regardent la littérature française à quelque distance, et qui prennent leurs termes de comparaison chez les grands poètes de tous les temps, de tous les pays, et dans la nature humaine ? […] L’histoire littéraire vit de détails, et ce n’est pas nous qui reprocherons à l’auteur de les prodiguer, surtout dans une histoire littéraire du genre de celle-ci, et qui était à créer : ma critique porterait seulement sur un certain manque de proportion. […] Je pense surtout, en écrivant ces lignes, à un jeune critique dont le début vient de marquer la place entre les meilleurs, M. 

668. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

Ces époques, telles que la critique incomplète d’alors les admettait ou les suggérait, seront pour l’histoire ancienne au nombre de douze : Adam, Noé, Abraham, Moïse, la prise de Troie, Salomon, Romulus, Cyrus, Scipion, Jésus-Christ, Constantin et Charlemagne. […] Dans cette revue toute morale et nullement critique qu’il fait des Écritures, Bossuet revient avec ampleur sur ce qu’il avait déjà dit dans la première partie. […] Les objections, les critiques sur l’authenticité de certains textes, sur leur altération et leur mélange, sur le degré d’inspiration qu’il y fallait raisonnablement chercher, sur ce qui est de Moïse, par exemple, et ce qui n’est certainement pas de Moïse, s’élevaient déjà autour de lui ; il n’en tenait compte ; il n’admettait un moment la discussion que pour la fermer presque aussitôt et d’autorité. […] Chez nous l’humaniste a longtemps primé le philologue et le critique. […] Certes, personne plus que moi n’apprécie l’esprit critique de M. 

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