Mme de Staël est d’une taille moyenne, et son corps, sans avoir une élégance de nymphe, a la noblesse des proportions… Elle est forte, brunette, et son visage n’est pas à la lettre, très-beau ; mais on oublie tout dès que l’on voit ses yeux superbes, dans lesquels une grande âme divine, non-seulement étincelle, mais jette feu et flamme. […] Mme de Staël avait horreur de l’âge et de l’idée d’y arriver ; un jour qu’elle ne dissimulait pas ce sentiment devant Mme Suard, celle-ci lui disait : « Allons donc, vous prendrez votre parti, vous serez une très-aimable vieille. » Mais elle frémissait à cette pensée ; le mot de jeunesse avait un charme musical à son oreille ; elle se plaisait à en clore ses phrases, et ces simples mots, Nous étions jeunes alors, remplissaient ses yeux de larmes : « Ne voit-on pas souvent, s’écriait-elle (Essai sur le Suicide), le spectacle du supplice de Mézence renouvelé par l’union d’une âme encore vivante et d’un corps détruit, ennemis inséparables ?
Il comprit ce que c’est que la vie d’une nation, l’âme de cet être collectif qui garde son unité à travers ses âges et sous ses continuels développements, la mission départie à chaque peuple en particulier sur la scène du monde ; que les institutions vraies sont filles du temps, qu’elles plongent dans les mœurs et les souvenirs comme un arbre en pleine terre ; que les constitutions rédigées d’après des théories plus ou moins savantes ne sont qu’une juxtaposition provisoire qui peut aider le corps social à refaire sa vie, mais qui n’a pas vie en soi ; qu’ainsi la Charte n’était, à proprement parler, qu’une formule pour dégager l’inconnue, une méthode pour résoudre le grand problème des institutions nouvelles, un appareil fixe sous lequel les os brisés et les chairs divisées auraient le temps de se rejoindre et de se raffermir.
Des larmes de pitié coulaient de ses yeux ; et au dedans la douleur minante ne cessait de la ronger à travers tout le corps, le long des moindres fibres et jusque tout au bas de la nuque, là où plonge le plus sensiblement le mal lorsque les Amours logent sans relâche leurs amertumes dans un esprit.