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1170. (1893) Alfred de Musset

On voudra bien se souvenir, en lisant les fragments qui vont suivre, que Musset était alors à l’âge ingrat où les idées sont aussi dégingandées que le corps. […] Ainsi Diane, venant baiser Endymion, coulait son corps souple et mol à travers le réseau des ramures. […] Musset était arrivé à Paris le 12 avril et s’était aussitôt lancé à corps perdu dans le monde et les plaisirs, espérant que la distraction viendrait à bout du chagrin qui le dévorait. […] Ton corps est abattu du mal de ta pensée ; Tu sens ton front peser et tes genoux fléchir. […] C’est ainsi qu’on aime à se représenter Musset sur la fin, sérieux, et échappant du moins par la pensée à la fange dans laquelle il roulait trop souvent son corps.

1171. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Une paix tombe avec les rayons du soleil sur ces corps inertes. […] Puis il emportait chez lui, en riant, le corps couvert d’épines d’un hérisson souple. […] C’est un petit corps sec, simiesque. […] Alors les Nymphes couvrirent sa langue et tout son corps d’une écorce d’olivier. […] Et du corps du jeune homme un cyprès a poussé ; une roseraie a poussé du corps de la jeune fille.

1172. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Mais le commun des hommes se sert de la raison sans la connaître et sans chercher à la dégager des éléments successifs où elle est impliquée ; pour lui, il n’y a pas d’autre pensée que les pensées ; celles-ci existent pour elles-mêmes, elles ont leur valeur propre, elles ne sont pas des signes ; le signe est un accessoire, un intermédiaire pratique entre les diverses pensées d’un même homme ou entre les pensées d’hommes réunis en société ; il ne fait pas corps avec la pensée, il n’en est pas une partie ; à plus forte raison, il ne la constitue pas par ses groupements ; la pensée n’est pas un ensemble de signes, car, alors, il n’y aurait rien à signifier, et le signe, comme tel, disparaîtrait. […] On dira bien qu’un signe n’est pas tel par sa nature, par ses qualités positives ou négatives, mais par sa fonction, qu’un signe est un intermédiaire entre plusieurs apparitions d’une même idée, un instrument de société entre les idées d’un même homme263 ou entre des esprits logés en des corps distincts, que la signification est un rôle auquel toute image est propre, à la seule condition d’être matériellement réalisable par les organes ; pourvu que la fonction soit bien remplie, peu importe l’agent, semble-t-il. […] Résumé : double utilité des signes arbitraires En résumé, les signes arbitraires ont un double avantage : D’abord, ils sont la seule expression possible des idées qui ne sont pas sensibles et des idées sensibles qui ne peuvent être représentées au-dehors par un mouvement musculaire analogique, en d’autres termes, qui, subjectivement sensibles, ne peuvent être objectivement rendues sensibles par une imitation de leur essence dont le corps serait l’instrument. […] En résumé, une pensée particulière, groupe d’images hétérogènes, a pour signe naturel la plus saillante de ces images, qui, d’ordinaire, est l’image visuelle, tandis qu’une pensée générale, groupe relativement homogène de pensées particulières dont les caractères distinctifs sont affaiblis ou annihilés [§ 9], a pour signe naturel, mais imparfait, celui de ses éléments qui peut être imité par les organes du corps, pour signe artificiel et parfait un phénomène audible qu’une convention arbitraire associe à ses destinées. […] Or toutes les images constitutives d’une idée ne peuvent être matériellement imitées par les organes du corps humain, et la plus facile à imiter est d’ordinaire choisie pour servir de signe commun ; dès lors, une partie de l’idée représente l’ensemble ; seule elle devient, pour celui qui exprime sa pensée comme pour ses interlocuteurs, une sensation, c’est-à-dire un état fort ; et l’acte musculaire, en la détachant ainsi du groupe dont elle faisait partie, lui confère à un haut degré ce que nous avons appelé l’indépendance.

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