En tout, même dans ces jeux de l’esprit, Frédéric finit toujours par donner le dernier mot à l’action, à l’utilité sociale et à celle de la patrie : c’est un génie qui s’amuse en attendant mieux, qui continuera de s’amuser et de s’égayer dans les intervalles des plus rudes travaux, mais qui aspirera en tout temps, à force de fermeté, à se réaliser en grandeur pratique et utile. […] Revenu en France, d’Alembert continua de correspondre avec Frédéric ; et (si l’on oublie l’épigramme qui ne fut jamais connue) cette correspondance atteste des deux parts bien de la raison, de la philosophie véritable, et même de l’amitié, autant qu’il en pouvait exister alors entre un particulier et un monarque. […] Je n’ai pas daigné lire tous ces ouvrages de la haine et de l’envie de mes ennemis, et je me suis rappelé cette belle Ode d’Horace : Le sage demeure inébranlable… Et il continue de lui paraphraser le « Justum et tenacem… » On reconnaît dans cette admirable leçon le disciple de Bayle sur le trône.
Dès son enfance, le jeune d’Aguesseau apprit toute chose, il continua d’apprendre toute sa vie, et l’on serait assez embarrassé de dire quelle science, quelle langue et quelle littérature il ne savait pas. […] On y voit paraître et reluire, après quelques pages de lecture continue, l’image de la vie privée, des vertus domestiques, de la piété et de la pudeur de l’écrivain, ce qu’une de ses petites-filles a si excellemment appelé ses charmes intérieurs. […] C’est dans les pages mêmes du fils qu’il faut apprendre à aimer l’expression modérée, continue et pleine, de cette belle vie antique de M. d’Aguesseau le père ; c’est là qu’il faut voir briller, sous des cheveux de plus en plus blancs, la vertu toujours égale du vieillard dans toute la fleur de sa première innocence.
Puis, quand on regarde au-delà du premier plan, et qu’on entre dans le détail des productions poétiques qui continuent s’imprimer, on est frappé de la quantité de directions qui s’entrecroisent sans paraître se contrarier et sans se détruire. […] [NdA] Dans la Revue des deux mondes du 1er mars 1852, je lis, comme en réponse à mon vœu et à mon désir, une belle et large idylle de M. de Laprade, intitulée Les Deux Muses : l’amour y a sa part, bien que le culte de la nature y garde le dessus : selon moi, c’est son chef-d’œuvre, sa pièce la plus accessible et la plus sentie. — Il n’a guère persisté dans cette voie, il a continué de platoniser, d’évangéliser vaguement en vers, en même temps qu’il est quelque peu devenu (depuis surtout son entrée à l’Académie) un homme de coterie religieuse et politique. — Un critique de beaucoup de finesse, mais dont il faut détacher les mots piquants du milieu de bien des fatuités et des extravagances, Barbey d’Aurevilly, comparant un jour les dernières poésies de M. de Laprade avec celles d’un autre poète également moral et froid, concluait en disant : « Au moins, avec M. de Laprade, l’ennui tombe de plus haut. » C’est plus satirique que juste, mais le mot est lâché : l’écueil est là ; gare aux beaux vers qui sont ennuyeux ! […] Il a fait représenter bientôt après, au Théâtre-Français, une assez jolie petite comédie en vers, L’Amour et son train, mais il n’a pas continué.