On devra considérer un moment du déroulement de l’univers, c’est-à-dire un instantané qui existerait indépendamment de toute conscience, puis on tâchera d’évoquer conjointement un autre moment aussi rapproché que possible de celui-là, et de faire entrer ainsi dans le monde un minimum de temps sans laisser passer avec lui la plus faible lueur de mémoire. […] Nous pourrons considérer alors n’importe quel mouvement s’accomplissant à côté de ce mouvement modèle, n’importe quel changement : tout le long de ce déroulement nous pointerons des « simultanéités dans l’instant ». […] Mais ceux qui voudraient dissoudre les choses en rapports, qui considèrent toute réalité, même la nôtre, comme du mathématique confusément aperçu, diraient volontiers que l’Espace-Temps de Minkowski et d’Einstein est la réalité même, que tous les Temps d’Einstein sont également réels, autant et peut-être plus que le temps qui coule avec nous. […] Nous devrions, en outre, distinguer entre le point de vue de la philosophie et celui de la science : celle-là considère plutôt comme réel le concret, tout chargé de qualité ; celle-ci extrait ou abstrait un certain aspect des choses, et ne retient que ce qui est grandeur ou relation entre des grandeurs. […] Nous ne pouvons insister ici sur cette théorie de la conscience-épiphénomène, qu’on tend de plus en plus à considérer comme arbitraire.
Considérez la direction de votre esprit à n’importe quel moment : vous trouverez qu’il s’occupe de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être. […] Nous le devinerons sans peine si nous considérons la structure générale du système nerveux. […] Or, si nous considérons de ce biais la vie à son entrée dans le monde, nous la voyons apporter avec elle quelque chose qui tranche sur la matière brute. […] Que nous considérions l’acte décrété par la conscience, ou la perception qui le prépare, dans les deux cas la conscience nous apparaît comme une force qui s’insérerait dans la matière pour s’emparer d’elle et la tourner à son profit. […] Considérons-les attentivement, tâchons d’éprouver sympathiquement ce qu’ils éprouvent, si nous voulons pénétrer par un acte d’intuition jusqu’au principe même de la vie.
Encore, à la mort de Bonpland, Humboldt s’était considéré comme un ami qui prend congé pour un temps très court de son compagnon, et l’on raconte de lui des conversations qu’il tint dans de petites réunions d’amis, où il désignait, avec une sorte de pressentiment prophétique, l’année 1859 comme devant être la dernière de sa vie. […] « Considérons en premier lieu cette matière cosmique répartie dans le ciel sous des formes plus ou moins déterminées, et dans tous les états possibles d’agrégation. […] « Les comètes, qui laissent quelquefois entrevoir les étoiles à travers leur queue, semblent être un composé de matière gazeuse plus apparente que dangereuse. » Quant aux pierres tombantes ou étoiles filantes qui étonnent souvent nos yeux, Humboldt les considère comme des millions de petites planètes emportées par un mouvement de rotation autour du soleil, et qui frappent aveuglément la terre quand nous les rencontrons, comme des papillons aveugles. […] « Tant que l’on s’en tint aux extrêmes dans les variations de la couleur et de la figure, et qu’on se laissa prévenir à la vivacité des premières impressions, on fut porté à considérer les races, non comme de simples variétés, mais comme des souches humaines, originairement distinctes. […] Mais ce spectacle de la nature ne serait pas complet si nous ne considérions comment il se reflète dans la pensée et dans l’imagination disposée aux impressions poétiques.