Guizot déclare en être demeuré à apprécier, dans ce vaste et habile ouvrage, « l’immensité des recherches, la variété des connaissances, l’étendue des lumières, et surtout cette justesse vraiment philosophique d’un esprit qui juge le passé comme il jugerait le présent », et qui, à travers la forme extraordinaire et imprévue des mœurs, des coutumes et des événements, a l’art de retrouver dans tous les temps les mêmes hommes. […] Je serais fort aise d’avoir plusieurs connaissances comme lui ; car, à tout prendre, il est supérieur à presque tous les gens avec qui je vis. […] Pour mon compte, c’est des livres que j’aime à tirer mes connaissances, et je ne demande à la société que des égards polis et des manières faciles5.
» Le comte de Maistre, dans une des charmantes lettres à sa fille, Mlle Constance de Maistre, a badiné agréablement sur cette question, et il y a mêlé des vues pleines de force et de vérité : « L’erreur de certaines femmes est d’imaginer que pour être distinguées, elles doivent l’être à la manière des hommes… On ne connaît presque pas de femmes savantes qui n’aient été malheureuses ou ridicules par la science. » Au siècle dernier, un jésuite des plus éclairés et des plus spirituels, le père Buffier, qui était de la société de Mme de Lambert, dans une dissertation légèrement paradoxale, s’est plu à soutenir et à prouver que « les femmes sont capables des sciences » ; et après s’être joué dans les diverses branches de la question, après avoir montré qu’il y a eu des femmes politiques comme Zénobie ou la reine Élisabeth, des femmes philosophes comme l’Aspasie de Périclès et tant d’autres, des femmes géomètres et astronomes comme Hypatie ou telle marquise moderne, des femmes docteurs comme la fameuse Cornara de l’école de Padoue, et après s’être un peu moqué de celles qui chez nous, à son exemple, « auraient toutes les envies imaginables d’être docteurs de Sorbonne », — le père Buffier, s’étant ainsi donné carrière et en ayant fini du piquant, arrive à une conclusion mixte et qui n’est plus que raisonnable : À l’égard des autres, dit-il, qui ont des devoirs à remplir, si elles ont du temps de reste, il leur sera toujours beaucoup plus utile de l’employer à se mettre dans l’esprit quelques connaissances honnêtes, pourvu qu’elles n’en tirent point de sotte vanité, que de l’occuper au jeu et à d’autres amusements aussi frivoles et aussi dangereux, tels que ceux qui partagent la vie de la plupart des femmes du monde. […] Si vous pouviez attirer à cette alliance la fortune, ce serait un accroissement presque sans exemple, auquel on ne saurait rien souhaiter de plus, si ce n’est la connaissance de la vérité, qui ne peut être longtemps cachée à une fille qui peut s’entretenir avec les saints auteurs dans leurs langues naturelles. […] Ce n’est pas pour les doctes qu’elle écrit, c’est pour ceux qui ne lisent point original et auxquels cette connaissance sublime est fermée.
Hume, avec son air un peu lourd et son allure de paysan, avait fait fureur dans le beau monde de Paris et à la Cour ; se trouvant au mois de juillet 1764 à Compiègne où étaient le roi et la fleur de la noblesse, il ne se prodiguait pas plus qu’il ne fallait, et il se ménageait dans la journée des heures de recueillement : « Nous vivons, écrivait-il à Mme de Boufflers, dans une sorte de solitude et d’isolement à Compiègne, moi du moins, qui n’ayant qu’un petit nombre de connaissances, et assez peu particulières, à la Cour, et ne me souciant pas d’en faire d’autres, me suis donné presque entièrement à l’étude et à la retraite. […] Personne n’a été plus généralement connue que vous, et dans ces dernières années et dans votre première jeunesse : se peut-il qu’un si grand nombre de connaissances vous voient avec plaisir passer du rang de leur égale à celui de leur supérieure, et si fort supérieure ? […] c’est la situation pour laquelle je vous ai toujours crue la mieux faite depuis que j’ai eu le bonheur de votre connaissance.