Pour que l’état poétique s’ébauche en nous, nul besoin n’est-ce pas, d’avoir pris d’abord connaissance du poème tout entier, même s’il est court. […] Réduire la poésie aux démarches de la connaissance rationnelle, du discours, c’est aller contre la nature même, c’est vouloir un cercle carré. […] Souday fait, et (du moins à première vue) justement de la raison « la connaissance proprement dite », ne semble-t-il pas voir, dans la poésie un autre mode de connaissance (même si l’on refuse de la qualifier poétique, mystique), distincte de la raison ? […] Paul Valéry, écrit-il, il en est une qui a eu une grande fortune… c’est dans l’avant-propos à la connaissance de la déesse. […] La connaissance particulière que nous étudions chez le poète ou chez le mystique, n’est pas infra, elle est supra-rationnelle ; raison supérieure, plus raisonnable que l’autre.
Relis les témoignages de nos anciennes connaissances à Paris. […] J’évitai toute connaissance, et surtout toute espèce de familiarité avec les gens de notre profession. […] Je ne cherchais la connaissance et l’amitié que des gens d’un haut rang, et de ceux-là seulement qui étaient posés ; jamais de jeunes hommes, quand ils eussent été de la plus haute volée. […] Tu es un jeune homme de vingt-deux ans ; tu n’as par conséquent pas le sérieux de l’âge qui peut empêcher de rechercher ta connaissance ou ton amitié tant de jeunes hommes de quelque rang qu’ils puissent être, tant d’aventuriers, de mystificateurs, d’imposteurs, jeunes ou vieux, qu’on rencontre dans le monde de Paris. […] Vous m’écrivez que vous pensez que je fais force visites pour faire de nouvelles connaissances ou renouveler les anciennes ; mais c’est impossible.
Si cela est vrai, comme nous le disons, des hautes époques et des Siècles de Louis XIV, cela ne l’est pas moins des époques plus difficiles où la grande gloire est plus rare, et qui ont surtout à se défendre contre les comparaisons onéreuses du passé et le flot grossissant de l’avenir par la réunion des nobles efforts, par la masse, le redoublement des connaissances étendues et choisies, et, dans la diminution inévitable de ce qu’on peut appeler proprement génies créateurs, par le nombre des talents distingués, ingénieux, intelligents, instruits et nourris en toute matière d’art, d’étude et de pensée, séduisants à lire, éloquents à entendre, conservateurs avec goût, novateurs avec décence. […] La connaissance qu’il en prit dès lors ne lui fut pas inutile plus tard dans les discussions de lois et d’affaires auxquelles il fut mêlé. […] Villemain, dans le domaine infini de sa connaissance littéraire, mena à sa suite et à côté de lui cette rapide jeunesse, ouvrant pour elle dans la belle forêt trois ou quatre longues perspectives, là même où les routes royales des grands siècles manquaient ; mais ces perspectives, si heureusement ouvertes par lui et qui suffisent à marquer son glorieux passage, se refermeraient derrière, si de nouveaux venus ne travaillaient à les tenir libres, à les limiter et à les paver pour ainsi dire : c’est l’heure maintenant de ne plus traverser la forêt, comme Élisabeth à Windsor, comme François Ier en chasse brillante dans celle de Fontainebleau, mais de s’y établir en ingénieurs, hélas ! […] Villemain n’a pas fait une dissertation, mais un composé, comme l’est en général sa critique, de vues, de traits choisis, d’anecdotes significatives, d’inductions arrêtées à temps, il n’a jamais réussi mieux, et n’a nulle part plus ingénieusement combiné les connaissances de tous genres, les ménagements intelligents et les prévisions insinuantes.