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1081. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Douce puissance de l’étude qui ne permet de connaître ni le poids du temps, ni le vide de l’âme, ni les regrets d’une ambition vulgaire, et qui montre à l’homme une source plus pure, où il ne tient qu’à lui de puiser tout ce qui lui appartient de bonheur et de dignité ! […] De plus, elle était peu connue, du moins en ce qui regarde l’administration intérieure, et c’est un grand bonheur de votre sujet que ces mystères de la police vénitienne que vous avez eus à pénétrer pour les mettre ensuite au grand jour. […] Je n’ai pas tout dit, mais je suis arrivé au terme ; l’homme, sous l’aspect où je l’ai voulu montrer, est connu. […] Ceux qui l’ont connu me le dépeignent d’une taille qui n’était pas au-dessus de la moyenne, d’une physionomie agréable et forte, la tête brune, l’œil vif, le nez aquilin et noble, le teint assez coloré, le cou plein et puissant. […] C’était une sorte de Raynouard, me dit-on, pour la vigueur et la simplicité, mais plus distingué et plus étendu, qui avait connu les cours et les camps, et qui avait participé aux plus grandes affaires.

1082. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Le duc de Chevreuse, honnête, appliqué, laborieux, traitant chaque question avec méthode, s’épuisant à combiner les faits et à en tirer des inductions, des conséquences infinies, avait quelque chose du doctrinaire et du statisticien tout ensemble ; on en connaît encore de ce genre-là : avec beaucoup d’esprit, de mérite, de capacité et de connaissances, il n’arrivait qu’à être un bon esprit faux. […] Soit que ce dernier dans l’éloignement n’ait point assez connu les qualités tardivement développées et les mérites supérieurs qu’on a loués dans ce jeune prince ; soit qu’à titre d’ancien précepteur, il ait été trop disposé à le juger jusqu’au bout comme un enfant ; soit qu’à ce titre de maître et de précepteur toujours, il se soit montré plus sévère et plus exigeant envers lui comme un habile et consciencieux artiste l’est pour son propre ouvrage, il est certain que les lettres de Fénelon qui traitent du duc de Bourgogne sont continuellement remplies des censures les plus précises et les plus nettement articulées, excepté les dernières de ces lettres qui se rapportent aux huit derniers mois de la vie du prince. […] Il est nécessaire que dès à présent il s’accoutume à son rôle royal, « en se corrigeant, en prenant beaucoup sur lui, en s’accommodant aux hommes pour les connaître, pour les ménager, pour savoir les mettre en œuvre ». […] Un jour il apprend que le duc de Bourgogne, parlant moins en prince et en fils de roi qu’en pénitent et en homme qui sort de son oratoire, a dit que ce que la France souffrait alors, en 1710 (et elle souffrait, en effet, d’horribles maux), venait de Dieu qui voulait nous faire expier nos fautes passées : « Si ce prince a parlé ainsi, écrit Fénelon au duc de Chevreuse, il n’a pas assez ménagé la réputation du roi : on est blessé d’une dévotion qui se tourne à critiquer son grand-père. » Dans tout ceci, je n’ai d’autre dessein que de rappeler quelques traits de la piété noble, élevée, généreuse, à la fois sociable et royale de Fénelon, sans prétendre en tirer (ce qui serait cruel et presque impie à son égard) aucune conséquence contre l’avenir de son élève chéri, contre cet avenir qu’il n’a point été donné aux hommes de connaître et de voir se développer. […] Fénelon connaissait les hommes, et ne paraît pas avoir trop compté sur leur bonté ni sur leur reconnaissance ; il le dit en plus d’un endroit au duc de Bourgogne, et avec un accent singulièrement pénétré, qui montre qu’il ne se faisait aucune illusion en ce point : « Quand on est destiné à gouverner les hommes, il faut les aimer pour l’amour de Dieu, sans attendre d’être aimé d’eux… » Je renvoie au passage, il est pénible de transcrire au long de si laides vérités7.

1083. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

C’était l’âme la plus sincère et la plus candide que j’aie jamais connue : jamais de déguisement, je ne sais s’il a menti en sa vie. […] Règle générale : pour les poètes et gens de lettres qui se retirent en province après un premier éclat (je parle toujours de la province telle qu’elle était alors, aujourd’hui j’admets que tout est changé), pour ces esprits et ces talents qui ne se renouvellent pas, qui se continuent seulement et qui vivent jusqu’à la fin sur le même fonds, il faut toujours en revenir, pour les bien connaître, à la date de leur floraison première. […] Maucroix jeune, et encore avocat, a fait ce qu’on appelait des airs, des chansons ou stances qui devaient charmer sous la régence d’Anne d’Autriche, et qui se chantaient sur le luth ; par exemple : Amants, connaissez les belles, Si vous voulez être heureux : Elles ne font les cruelles Que pour allumer vos feux. […] Le chanoine de Reims n’était pas de l’Académie, mais il en eût été certes depuis longtemps s’il eût résidé dans la capitale ; il était connu pour la beauté de sa plume : on avait fort admiré sa traduction des homélies de saint Jean Chrysostome. […] Les lettres qu’il écrit durant le temps de ce séjour à Paris à son ami le chanoine Favart nous peignent à ravir et au naturel sa situation d’esprit : « Vous connaîtrez, si je ne me trompe, au style de cette lettre, dit-il dès les premiers jours, que je suis un peu sombre ; il est vrai que je le suis : que sert de dissimuler ?

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