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566. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Il aimait les grandes et graves émotions qui nous révèlent la noblesse de notre nature et l’infirmité de notre condition. […] Regardez-le établir une maxime, par exemple nous recommander la constance ; ses motifs sont de toute sorte et pêle-mêle : d’abord l’inconstance nous expose aux mépris ; ensuite elle nous met dans une inquiétude perpétuelle ; en outre, elle nous empêche le plus souvent d’atteindre notre but ; d’ailleurs elle est le grand trait de la condition humaine et mortelle : enfin elle est ce qu’il y a de plus contraire à la nature immuable de Dieu qui doit être notre modèle. […] Bossu dans mon premier article sur Milton, j’aurais daté l’action du Paradis perdu du discours de Raphaël au cinquième livre932. » — « Quoique l’allégorie du Péché et de la Mort puisse en quelque mesure être excusée par sa beauté, je ne saurais admettre que deux personnages d’une existence si chimérique soient les acteurs convenables d’un poëme épique. » Plus loin il définit les machines poétiques, les conditions de leur structure, l’utilité de leur emploi. […] Ses personnages sont pris sur le vif, dans les mœurs et les conditions du temps, longuement et minutieusement décrits dans toutes les parties de leur éducation et de leur entourage, avec la précision de l’observation positive, extraordinairement réels et anglais. […] As I was counting the arches, the genius told me that this bridge consisted at first of a thousand arches ; but that a great flood swept away the rest, and left the bridge in the ruinous condition I now beheld it.

567. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Voir de près, de tout près même, est assurément la meilleure condition pour saisir les détails dans leur plus rigoureuse précision, mais cela être aussi un excellent peut moyen de borner sa vue à ces seuls détails : ils grandiront de toute l’attention qui leur sera prêtée, et leur relation avec l’ensemble pourra en être altérée d’autant. […] Il n’y a plus seulement là observation, à en croire les théoriciens du naturalisme ; il y a expérimentation, en ce sens que Balzac ne s’en tient pas strictement, en photographe, aux faits recueillis par lui : il intervient d’une façon directe, pour placer son personnage dans des conditions « dont il reste le maître ». […] Il s’agit tout simplement de trouver par quel côté le laid cesse de l’être, c’est-à-dire en quel sens il a droit à notre sympathie, droit qui est celui de tout ce qui existe, à la seule condition qu’on sache regarder les choses sous un certain jour. […] Si la vraie sociabilité des sentiments est la condition d’un naturalisme digne de ce nom, le réaliste, en voulant être d’une froideur absolue, arrive à être partial. […] Zola s’en défend avec énergie : il cite encore une fois son Claude Bernard, qui a dit : « Le fatalisme suppose la manifestation nécessaire d’un phénomène indépendamment de ses conditions, tandis que le déterminisme est la condition nécessaire d’un phénomène dont la manifestation n’est pas forcée. » Le romancier doit être déterministe, ajoute avec raison Zola, non fataliste : « c’est la source de son impartialité. » Conçoiton un savant se fâchant contre l’azote, parce que l’azote est impropre à la vie ?

568. (1883) Le roman naturaliste

Entendons-nous par là que le romancier doivent s’interdire la peinture des conditions ? […] Zola passe à côté du problème ; et le problème est bien autre : Il s’agit de déterminer à quelles conditions la réalité devient vraie. […] Il faut que l’on oublie, à moins qu’on ne l’ignore, l’objet vrai de la critique, et les vraies conditions de l’art. […] Mais, du moment qu’il fût devenu pathologique, à quoi bon cette lente et minutieuse étude des conditions et du milieu ? […] Peut-on se faire une plus fausse idée des conditions de l’observation ?

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