Il ne travaille pas assez pour arriver à écrire des mémoires un peu longs et complets ; la plume lui tombe des mains avant la fin, et c’est dommage ; il était si capable de bien juger et de donner sur les hommes qu’il a connus de ces traits qui restent et qui fixent en peu de mots la vérité du personnage ! […] Je fus voir hier, à quatre heures après midi, M. le marquis de La Fare, en son nom de guerre M. de la Cochonière, croyant que c’était une heure propre à rendre une visite sérieuse76 ; mais je fus bien étonné d’entendre dès la cour des ris immodérés et toutes les marques d’une bacchanale complète.
Cette lettre, publiée par Voltaire, est devenue historique, et elle fait le plus grand honneur auprès de la postérité à l’esprit et à l’humanité de M. d’Argenson : « Vous m’avez écrit, monseigneur, lui répondait Voltaire, une lettre telle que Mme de Sévigné l’eût faite, si elle s’était trouvée au milieu d’une bataille. » Et cet éloge est mérité ; on a la description gaie, vive, émue, du combat, du danger, du succès plus qu’incertain à un moment, de la soudaine et complète victoire ; le principal honneur y est rapporté au roi : puis, après tout ce qu’un courtisan en veine de cœur et d’esprit eût pu dire, on lit les paroles d’un citoyen philosophe ou tout simplement d’un homme : Après cela, pour vous dire le mal comme le bien, j’ai remarqué une habitude trop tôt acquise de voir tranquillement sur le champ de bataille des morts nus, des ennemis agonisants, des plaies fumantes… J’observai bien nos jeunes héros ; je les trouvai trop indifférents sur cet article… Le triomphe est la plus belle chose du monde : les Vive le roi ! […] J’y ai eu regret par la considération que je fis l’autre jour à quel point ce garçon était véritablement laquais, et au point qu’on ne pourrait en prendre un modèle plus complet si l’on voulait dépeindre un laquais : Il était ragot, — insolent, — le visage carré, — gros nez, — brunet, — malpropre, — de grands cheveux bouclés, — usant beaucoup ses habits, — malpropre en linge, les pieds tournés si en dehors qu’il tortillait du cul en marchant ; — toujours au cabaret ou au b… ; — ivre de rien.
Le comte de Frise (Friesen), jeune seigneur allemand et neveu du maréchal de Saxe, très fat, très spirituel, se met en tête, un matin, de jouer au naturel le rôle de Lovelace ; il choisit son objet, il choisit aussi son confident : Pour rendre le roman complet dit Besenval, il fallait encore un Belfort, et j’en remplis le rôle sans en avoir le dessein. […] Si l’on joint à ce chapitre celui qui concerne la jeunesse de la maréchale de Luxembourg, on aura les aveux les plus complets du désordre et de la dépravation du tempsas, de la part du témoin et du complice le moins fait pour s’en scandaliser.