. — Notre Lebrun reçut donc en plein le coup de soleil de l’Empire, et du premier jour il se consacra d’un cœur tout français et reconnaissant à en célébrer les gloires : Aigle, je m’attache à ton aile : Emporte-moi dans l’avenir ! […] Lebrun, tout cela est sensible à la simple lecture ; mais ce que je prétends, c’est que ce n’est nullement par un procédé d’imitation ou par un goût de fusion qu’il nous offre de tels produits de son talent, car il est, il a été poète, sincèrement poète, de son cru et pour son propre compte ; il en porte la marque, le signe au cœur et au front : il a la verve. […] Quant à Clotilde de Surville, elle était, je l’avoue, ma favorite ; je la savais par cœur, je l’aimais, je croyais en elle. […] Il ne reverra plus son cher Tancarville qu’après trente années presque révolues d’absence (septembre 1845) ; en le revoyant, sa verve se ranime avec toutes les émotions de son cœur, et il le salue, il le célèbre encore une fois par une Épître où l’homme sensible et le sage jettent un dernier regard mélancolique, mais non morose, sur ce passé : Parmi tous ces débris où j’ai souvent erré, Où j’ai joui, souffert, aimé, rêvé, pleuré, Mon heureuse jeunesse en vingt lieux dispersée Soudain de toutes parts remonte à ma pensée. […] Un toit, la santé, la famille ; Quelques amis, l’hiver, autour d’un feu qui brille ; Un esprit sain, un cœur de bienveillant conseil, Et quelque livré, aux champs, qu’on lit loin du grand nombre Assis, la tête à l’ombre, Et les pieds au soleil.
Afin de mieux se rendre compte des restes de l’esprit ancien, subsistant au cœur d’anciennes provinces, il est allé jusqu’à acheter successivement de grandes propriétés rurales dans des contrées où il savait ne point devoir résider longtemps, à cette seule fin de se mettre en commerce plus intime avec l’esprit des populations. […] Le cœur d’un homme vaut tout l’or d’un pays, ce beau vers d’un poète du Moyen-Age lui a paru avoir dû se réaliser et avoir trouvé son écho en bien des provinces de notre France. […] Peut-être même la tolérance n’est-elle jamais plus utile que lorsqu’elle autorise un talent supérieur à propager l’erreur et le vice : l’amour du bien et le sentiment du salut public excitent alors les cœurs généreux à faire effort sur eux-mêmes et à s’élever à la même hauteur pour faire prévaloir la vérité et la vertu. […] Le Play, qui sait qu’il faut un degré d’optimisme pour l’action et qui s’est voué de cœur et d’esprit à l’apostolat du bien, ne s’en tient pas à ces vues générales et négatives. […] Le Play est allée au cœur de la fraction distinguée du parti conservateur, qui pourrait s’intituler aristocratique libérale.
Rien n’est plus triste, sans doute, que cette nécessité où l’on croit être de venir mettre successivement une barre rigoureuse à chacune de ses admirations les plus profondes, et de prononcer ce fatal : Tu n’iras pas plus loin, dans une louange chère au cœur et qu’on ne croyait pas pouvoir épuiser. […] Sans doute, aux cœurs surtout tendres et discrets, les Méditations, et les premières, restaient les plus chères toujours : on en aimait le délicieux et imprévu mystère, l’élévation inaccoutumée et facile, la plainte si nouvelle et si douce, le roman à demi voilé auquel on avait foi, et que chaque imagination sensible ne manquait pas de clore. Mais, du moment qu’on n’avait plus affaire au simple amant d’Elvire, et qu’on était décidément en face d’un poëte, force était d’aller au delà, de recommencer avec lui la vie et les chants : on eut peine à s’y résigner d’abord, et même, pour bien des cœurs épris de l’amant et qui bientôt se crurent dupés par le poëte, l’idéal, dès ce moment, fut rompu. […] Les réflexions abondent, et je parlerai comme Job, dans l’amertume de mon cœur : cette négligence, cette prodigalité des beaux vers jetés sans aucun soin ni respect est-elle donc de la vraie humilité ? […] Mais ici, c’est d’un autre ordre ; la faute crie ; il sort de ses tons ; grâce à ces mots étranges, même sans se flatter d’être de ceux dont parle La Bruyère et qui ont le cœur justement ouvert à la perfection d’un ouvrage, on court risque de remporter désormais un regret mortel des plus belles pages de Lamartine.