Continuons de lire La Bruyère ; il connaît la question ; il est homme qui a fait un livre et qui a désiré très vivement être lu et qui était assez intelligent pour comprendre, mieux encore que tout autre chose, les raisons qu’on pouvait avoir de ne le lire point ou de le lire mal : « Ceux qui par leur condition se trouvent exempts de la jalousie d’auteur ont, ou des passions, ou des besoins qui les distraient ou les rendent froids sur les conceptions d’autrui ; personne presque, par la disposition de son esprit, de son cœur et de sa fortune, n’est en état de se livrer au plaisir que donne la perfection d’un ouvrage. » Et c’est-à-dire qu’un des ennemis de la lecture, c’est la vie même. […] Qui veut apprendre à connaître réellement quelque chose de nouveau, que ce soit un homme, un événement, un livre, fait bien d’adopter cette nouveauté avec tout l’amour possible, de détourner résolument sa vue de ce qu’il y trouve d’hostile, de choquant, de faux, même de l’oublier, si bien qu’à l’auteur d’un livre, par exemple, on donne la plus grande avance et que, d’abord, comme dans une course, on souhaite, le cœur palpitant, qu’il atteigne son but. Par ce procédé, on pénètre en effet la chose jusqu’au cœur, jusqu’à son point émouvant, et c’est justement ce qui s’appelle apprendre à connaître. » Rien de plus juste, rien de plus certain ; il faut toujours, d’abord, être sympathique.
Homere n’a point ménagé dans son poëme, de ces surprises intéressantes qui font une impression si vive dans le coeur : donc ces sortes de surprises sont puériles ; donc il est de la nature du poëme de les dédaigner. […] Il n’y a dans le coeur humain qu’une certaine mesure de sensibilité. […] Sur ce pied-là, on voit à tout moment dans l’iliade, les attributs révoltés contre leur essence commune, et les passions ne portent pas plus de trouble dans le coeur de l’homme, que les qualités divines en causent dans l’ame de Jupiter. […] Car l’épithete d’héroïque ne peut tomber sensément que sur la justice et la droiture des coeurs, et non pas sur le défaut de certaines richesses et sur l’ignorance des arts. […] Il les prend par tous les endroits sensibles du coeur humain ; par l’intérêt, par le plaisir, par la gloire, par la vertu même.
— Le feuilleton de Janin contre le Tibère de Chénier et contre ce poëte éminent a produit de l’indignation dans plus d’un cœur : voici que les représailles sont venues.