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665. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxvie entretien. L’ami Fritz »

Est-ce que le bonheur n’est pas notre but à tous ? — Non, ce n’est pas notre but ; sans cela, nous serions tous heureux : on ne verrait pas tant de misérables ; Dieu nous aurait donné les moyens de remplir notre but ; il n’aurait eu qu’à le vouloir. Ainsi, Kobus, il veut que les oiseaux volent, et les oiseaux ont des ailes ; il veut que les poissons nagent, et les poissons ont des nageoires ; il veut que les arbres fruitiers portent des fruits en leur saison, et ils portent des fruits : chaque être reçoit les moyens d’atteindre son but. […] — Oui, répondit David, c’est le meilleur, et vous viendrez demain à Hunebourg dresser le contrat. » Alors on but, et le vieux rebbe, souriant, ajouta : « J’ai fait bien des mariages dans ma vie ; mais celui-ci me cause plus de plaisir que les autres, et j’en suis fier.

666. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

L’œuvre de cet homme, à qui nous devons tant, nous tous qui possédons l’amour du beau et la haine solide de la platitude et de la banalité, œuvre immense déjà et sans cesse en voie d’accroissement, nous offre le spectacle d’un esprit très mâle et très individuel, se dégageant de haute lutte, et par bonds, des entraves communes, toujours plus certain du but marqué, embrassant d’année en année une plus large sphère par le débordement magnifique de ses qualités natives et de ses défauts aussi extraordinaires, mais qui, par leur nature même, commandent encore une sorte de vénération. […] On atteint aisément, avec une certitude mathématique, ce but peu envié, en se gardant de flatter jamais les goûts grossiers et les caprices du jour, de complaire aux vanités stériles et de feindre pour le jugement du public un respect dérisoire. […] Dès qu’il cède à cette tentation déplorable et qu’il monte en chaire, l’artiste meurt en lui, sans profit pour personne ; car il n’existe d’enseignement efficace que dans l’art qui n’a d’autre but que lui-même. […] Baudelaire, avouons-le, a pleinement atteint son but. […] En outre, si Victor Hugo, ayant toujours voulu que son théâtre fût une tribune, une sorte de chaire d’où l’enseignement moral pût être donné au plus grand nombre, semblait méconnaître ainsi la nature essentielle de l’art qui est son propre but à lui-même, du moins n’a-t-il jamais oublié que si le juste et le vrai ont droit de cité en poésie, ils ne doivent y être perçus et sentis qu’à travers le beau.

667. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

À mon avis, c’est de cette multitude énorme de mouvements perpétuellement essayés que se dégageront par sélection graduelle les mouvements intentionnels ayant un but et atteignant ce but. — Depuis quinze jours (deux mois et demi), j’en constate un qui est visiblement acquis : entendant la voix de sa grand’mère, elle tourne la tête du côté d’où vient la voix. […] Mais quand on eut besoin d’un signe phonétique pour indiquer le chant d’oiseaux plus nombreux, ou peut-être de tous les oiseaux possibles, toute imitation d’une note spéciale devint non seulement inutile, mais dangereuse ; et rien ne pouvait conduire au nouveau but, sauf un compromis entre tous ces sons imitatifs, une usure, un frottement, un effilement de tous leurs angles aigus et distinctifs.

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