Dans cette Chartreuse si goûtée de nos pères, et où quelques bons vers seulement nous arrivent à la nage dans un torrent de rimes, il disait : Persuadé que l’harmonie Ne verse ses heureux présents Que sur le matin de la vie, Et que sans un peu de folie On ne rime plus à trente ans… Dans une pièce adressée à ma Muse, il disait encore, toujours dans ce même sentiment de la brièveté : Moi que le Ciel fit naître moins sensible A tout éclat qu’à tout bonheur paisible, Je fuis du nom le dangereux lien ; Et quelques vers échappés à ma veine, Nés sans dessein et façonnés sans peine, Pour l’avenir ne m’engagent à rien. […] Des pensées plus douces et plus humbles lui sourirent ; le bonheur domestique lui fit envie. […] Gresset, à même de choisir, préféra ainsi le bonheur sûr à l’éclat hasardeux ; mais le bonheur trouve son prix en lui-même, et il n’est guère intéressant à raconter.
pour lui dire adieu, pour lui reprocher sa dureté, pour la voir encore, et partir en la maudissant… Mais Ernest ne part qu’au matin, ivre de bonheur, bénissant sa belle cousine, oubliant une montre qui ne quittera plus cette chambre sacrée, ayant promis, par un inviolable vœu, de ne revenir qu’après un an révolu, et de bien travailler durant ce temps à son progrès dans le monde. […] mon ami, crois-moi, il faut laisser venir le bonheur de lui-même : on ne le fait pas. […] … Peu s’en est fallu que nous ne gâtions aujourd’hui notre admirable bonheur de l’année dernière ! […] Ils changeraient bien leur prétendu bonheur contre vos infortunes. » Cependant la santé de Mlle Aïssé s’altère de plus en plus ; sa poitrine est en proie à une phthisie mortelle.
Il est né heureux, il a une étoile ; mais ce bonheur, on le sait, se compose toujours, chez ceux qui le possèdent, de mille finesses et adresses, de mille précautions imperceptibles dont les gens malencontreux ne se doutent pas. […] Tout se passe comme il l’a prévu, et il a la satisfaction de faire accepter l’amnistie étroite : « Duretête fut arrêté peu après, roué et mis en quartiers sur les portes de la ville ; on peut dire que cet homme avait maîtrisé Bordeaux, et, pendant un temps, maintenu le parti des princes. » À son second retour de Bordeaux, Gourville s’arrête en passant à Verteuil, où était M. de La Rochefoucauld, et il le réjouit fort du récit de son bonheur et de ses aventures. […] Le bonheur de Gourville ne l’abandonne même pas à la Bastille ; il y est conduit aussi doucement et logé aussi commodément que possible. […] « Il m’a souvent passé par l’esprit, dit Gourville, que les hommes ont leurs propriétés à peu près comme les herbes61, et que leur bonheur consiste d’avoir été destinés ou de s’être destinés eux-mêmes aux choses pour lesquelles ils étaient nés. » Et, s’appliquant cette pensée à lui-même, il ajoute : « J’oserais quasi croire que j’étais né avec la propriété de me faire aimer des gens à qui j’ai eu affaire, et que c’est cela proprement qui m’a fait jouer un assez beau rôle avec tous ceux à qui j’avais besoin de plaire. » Gourville fit bien des conquêtes en ce genre, mais la plus difficile, et qui prouve le plus pour lui, fut celle de Colbert.