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596. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Ainsi donc Candide et les écrits de ce genre qui se jouent, par une philosophie moqueuse, de l’importance attachée aux intérêts même les plus nobles de la vie, de tels écrits sont nuisibles dans une république, où l’on a besoin d’estimer ses pareils, de croire au bien qu’on peut faire, et de s’animer aux sacrifices de tous les jours par la religion de l’espérance. […] Ce qui pervertit la moralité en France, c’est le besoin de faire effet d’une manière quelconque, et surtout par son esprit. […] Le célèbre métaphysicien allemand, Kant, en examinant la cause du plaisir que font éprouver l’éloquence, les beaux-arts, tous les chefs-d’œuvre de l’imagination, dit que ce plaisir tient au besoin de reculer les limites de la destinée humaine ; ces limites qui resserrent douloureusement notre cœur, une émotion vague, un sentiment élevé les fait oublier pendant quelques instants ; l’âme se complaît dans la sensation inexprimable que produit en elle ce qui est noble et beau ; et les bornes de la terre disparaissent quand la carrière immense du génie et de la vertu s’ouvre à nos yeux. […] Dans cette période, le genre humain eut besoin de l’enthousiasme et de l’austérité.

597. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Mais, en vérité, est-il besoin de faire leur portrait, et ne suffit-il pas des détails qu’on vient de donner sur leur condition ? […] » — « Le paysan annonce sans cesse que le pillage et la destruction qu’il fait sont conformes à la volonté du roi. » — Un peu plus tard, en Auvergne, les paysans qui brûlent les châteaux montreront « beaucoup de répugnance » à maltraiter ainsi « d’aussi bons seigneurs » ; mais ils allégueront que « l’ordre est impératif, ils ont des avis que « Sa Majesté le veut ainsi743 »  À Lyon, quand les cabaretiers de la ville et les paysans des environs passent sur le corps des douaniers, ils sont bien convaincus que le roi a pour trois jours suspendu les droits d’entrée744  Autant leur imagination est grande, autant leur vue est courte. « Du pain, plus de redevances, ni de taxes », c’est le cri unique, le cri du besoin, et le besoin exaspéré fonce en avant comme un animal affolé. […] Affamés et maraudeurs, tous marchent ensemble, et le besoin se fait le complice du crime.

598. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Mais à travers ses arguments et ses exposés de faits, toute son âme se fait jour, un peu tumultueusement : un vif besoin d’ordre, de paix et de justice, un ardent patriotisme, un christianisme sincère, une profonde pitié du peuple qui paie et qui peine, et le très robuste orgueil du commerçant et de l’industriel : on le sent bien nettement, par la bouche de cet économiste, la bourgeoisie fixe le prix dont elle entend que la royauté lui paie le pouvoir absolu. […] Un grand besoin d’ordre et de paix s’est à la longue éveillé, surtout dans le peuple et dans la bourgeoisie : on se réfugie dans la monarchie absolue, à qui l’on demande le salut de l’État et la protection des intérêts privés. […] Sous la pression des tristesses morales de cette époque troublée, une sorte de stoïcisme chrétien s’élabore dans les âmes qui ont besoin de faire provision d’énergie. […] Cependant le fond révèle une pensée déjà indépendante, qui choisit sa matière selon le besoin, et la traite selon la vérité.

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