Plaute, Térence, Salluste, Tite-Live, César, tous ces écrivains immortels, à qui la langue Latine est si redevable, qui l’ont enrichie de tant de beautés, ne furent pas jugés dignes d’être des modèles. […] Quelque critique sévère que le censeur de Cicéron fit de ses ouvrages, il sentoit, & faisoit appercevoir, mieux que personne, les beautés dont ils sont remplis.
Ce regard singulier, avec quelque chose de retourné en dedans, pas très net, un peu brouillé, vraiment d’un homme qui voit des abstractions, et qui doit se réveiller pour saisir la réalité, contribuait à lui donner, quand il causait idées, un air de surveiller sa pensée et non son interlocuteur, et ce défaut devenait une espèce de beauté morale. […] Taine a très bien senti l’insuffisance, le verbalisme où aboutissent tant d’efforts, tant d’enthousiasmes dépensés et tant de sang versé ; mais si le but qu’on déclarait viser n’a pas été atteint, si, dans l’entreprise révolutionnaire, il y a des puérilités, de l’agitation et du vide, une grandeur pourtant y apparaît : certaines dépenses d’énergie, fussent-elles infécondes, contribuent à manifester les hommes ; elles accroissent sinon le bien-être, du moins la beauté et puis aussi la dignité de notre espèce.
Comme les peintures qu’on a données de ce genre de beautés naturelles n’ont commencé que tard dans notre littérature ; comme avant Jean-Jacques, Buffon et Bernardin de Saint-Pierre, on n’en trouve que des éclairs et des traits épars, sans ensemble, il faut bien que la tournure générale des idées et des croyances y ait influé. […] Instinct déclaré encore d’une âme que les seules beautés naturelles raviront, que l’art né des hommes touchera peu ou même choquera, et qui, dans Paul et Virginie (seule tache peut-être en ce chef-d’œuvre), ira jusqu’à déclamer en quatre endroits très-rapprochés contre les monuments des rois opposés à ceux de la nature ! […] il tient la plume, la grâce céleste descend, la magie commence, la première beauté de cœur a brillé. […] Ce qui me frappe et me confond au point de vue de l’art dans Paul et Virginie, c’est comme tout est court, simple, sans un mot de trop, tournant vite au tableau enchanteur ; c’est cette succession d’aimables et douces pensées, vêtues chacune d’une seule image comme d’un morceau de lin sans suture, hasard heureux qui sied à la beauté. […] Mais respectons les discernements de la nature ; laissons à chacun sa saison de beauté et sa gloire.