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533. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Si cela est vrai, comme nous le disons, des hautes époques et des Siècles de Louis XIV, cela ne l’est pas moins des époques plus difficiles où la grande gloire est plus rare, et qui ont surtout à se défendre contre les comparaisons onéreuses du passé et le flot grossissant de l’avenir par la réunion des nobles efforts, par la masse, le redoublement des connaissances étendues et choisies, et, dans la diminution inévitable de ce qu’on peut appeler proprement génies créateurs, par le nombre des talents distingués, ingénieux, intelligents, instruits et nourris en toute matière d’art, d’étude et de pensée, séduisants à lire, éloquents à entendre, conservateurs avec goût, novateurs avec décence. […] Des applaudissements inextinguibles solennisèrent ce moment, où tant de jeunes yeux brillaient d’étincelles et de larmes ; c’était aussi un serment de liberté et d’avenir. […] C’est une belle tâche à remplir encore, sentant sur soi, comme on fait, le poids du passé, autour de soi la confusion et la cohue du présent, puis hors de là, en avant, au loin, les incertitudes d’un avenir également inquiétant et redoutable, soit qu’il aille en cela à un déclin qui saura mal discerner, soit qu’il doive ressaisir une gloire nouvelle qui éteindra son aurore.

534. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

J’allais périr,… quand la Gaieté, mon inséparable compagne, soulevant d’une main le voile de l’avenir, me montra de l’autre le beau ciel de ma patrie, où le bonheur semblait m’appeler. » Et voilà sa barque remise à flot, aventureuse et légère ; le voilà plus en humeur, plus en veine que jamais, se croyant quitte une bonne fois avec le malheur, et n’invoquant pour tous patrons à l’avenir que Momus (comme on disait alors) et que Thalie : Naturam expellas furca, tamen usque recurret. […] A dater de ce moment et sous la Restauration, cette veine purement épicurienne et rieuse ne suffit plus à la France ; on a vu de près d’affreux désastres, on a subi des affronts ; l’inquiétude est partout qui gagne à l’intérieur et se prolonge dans l’avenir.

535. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

elle était née au plein milieu du dix-huitième siècle ; les descendants de l’Ordre Teutonique étaient devenus luthériens ; luthérienne donc, et puis femme d’ambassadeur, elle eut à essuyer d’abord toute cette vie de monde, de scepticisme et de plaisirs ; et lorsqu’elle y échappa, lorsque la flamme des événements publics vint éprendre cette âme si fervente sous une enveloppe si frêle, et lui fit croire à l’heure de prédire, de frapper tour à tour et de consoler, il se trouve que bien peu l’entendirent ; qu’elle fut comme la prophétesse stérile d’Ilion en cendres ; que ceux même que sa rapide éloquence de cœur avait un moment saisis, comme la poussière éparse que la nue électrique enlève, elle passée, retombèrent ; et qu’elle-même, sans ordre fixe, sans discipline, sans tradition, soulevée par le souffle ardent des catastrophes et n’ayant entrevu que des lueurs, perdit aussitôt la trace de l’avenir, et mourut dans une Crimée, sans rien laisser, sans rien servir, flocon de neige apporté et remporté par l’aquilon, un simple éclair et un cri de plus dans le vaste orage ! […] Marmier, qui a écrit sur Mme de Krüdner un morceau senti204, a très-bien remarqué dans Valérie nombre de pensées déjà profondes et religieuses, qui font entrevoir la femme d’avenir sous le voile des premières élégances ; j’en veux citer aussi quelques traits qui sont des présages : « Son corps délicat est une fleur que le plus léger souffle fait incliner, et son âme forte et courageuse braverait la mort pour la vertu et pour l’amour. » « …. […] « Dites aux peuples étonnés que les Français ont été châtiés par leur gloire même ; dites aux hommes sans avenir que la poussière qui s’élève retombe pour être rendue à la terre des sépulcres !

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