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15. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Une autre raison enfin, et qui est particulière à cet ordre d’esquisses, c’est qu’en écrivant dans les journaux, on est toujours quelque peu journaliste par un endroit ; on cherche l’à-propos, on attend l’occasion, et, sans s’attacher précisément à ne parler que des ouvrages encore tout chauds de la forge (autre expression de Montesquieu), on désire du moins que quelque circonstance naturelle nous ramène aux ouvrages anciens et y dirige l’attention. […] Le peu de notes qu’on a publiées de lui, et où il fait son portrait, ont donné à sa physionomie une vie et un naturel qui est mieux que de la majesté : « Plutarque me charme toujours, disait-il ; il y a des circonstances attachées aux personnes qui font grand plaisir. » Né le 18 janvier ‌1689, au château de La Brède, près de Bordeaux, il sortait d’une famille de robe et d’épée, de bonne noblesse de Guyenne : « Quoique mon nom ne soit ni bon ni mauvais, disait-il, n’ayant guère que deux cent cinquante ans de noblesse prouvée, cependant j’y suis attaché. » Son père, qui avait servi, après s’être retiré de bonne heure, soigna fort son éducation ; le jeune Montesquieu fut destiné à la magistrature. […] L’auteur annonçait qu’il n’attachait point à ces observations et à ces expériences une importance plus grande qu’elles n’en méritaient : « C’est le fruit de l’oisiveté de la campagne. […] Il a beau peindre sa Thémire, il reste pour nous plus sensuel en amour que sentimental : « J’ai été dans ma jeunesse assez heureux, disait-il, pour m’attacher à des femmes que j’ai cru qui m’aimaient ; dès que j’ai cessé de le croire, je m’en suis détaché soudain. » Et il ajoute : « J’ai assez aimé à dire aux femmes des fadeurs, et à leur rendre des services qui coûtent si peu. » Le Temple de Gnide est une de ces fadeurs, mais qui a dû lui coûter du travail. […] Et n’est-ce pas lui qui, dans le secret du cabinet, a dit : « Les histoires sont des faits faux composés sur des faits vrais, ou bien à l’occasion des vrais. » Et n’est-ce pas lui qui a dit encore : « On trouve dans les histoires les hommes peints en beau, et on ne les trouve pas tels qu’on les voit. » Qu’est-ce donc quand on ne s’attache qu’au génie de l’histoire ?

16. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Il fut véritablement attaché à la fortune de César, bien moins à son char qu’à sa personne. […] Cette sincérité d’attache distingue Arnault entre les hommes de lettres de son temps. […] Pour réparer tous ces contretemps, Arnault crut que le plus simple était de s’attacher définitivement à Monsieur et d’acheter près de lui une charge qui, dans le moment, était vacante. […] Arnault, que je ne m’attache point à suivre pas à pas, avait beaucoup causé avec le général en chef pendant la traversée de Toulon à Malte. […]         Et l’aigle suspendre son aire À l’un des mille bras dont il perce le ciel, Tandis que mille pieds l’attachent à terre.

17. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVI. De l’éloquence et de la philosophie des Anglais » pp. 324-337

Nos écrivains français ayant toujours présent à leur pensée le tribunal de la société, cherchent à obtenir le suffrage de lecteurs qui se fatiguent aisément ; ils veulent attacher le charme des sentiments à l’analyse des idées, et faire ainsi marcher simultanément un plus grand nombre de vérités. […] Ils reprochent avec vérité aux écrivains français leur égoïsme, leur vanité, l’importance que chacun attache à sa personne, dans un pays où l’intérêt public ne tient point de place. […] Peut-être aussi que la principale cause du grand plaisir attaché à cette lecture, c’est l’admiration qu’on éprouve pour la liberté d’un pays où l’on pouvait attaquer ainsi les ministres et le roi lui-même, sans que le repos et l’organisation sociale en souffrissent, sans que les dépositaires de la puissance publique eussent le droit de se soustraire à la plus véhémente expression de la censure individuelle. […] L’importance politique de chaque citoyen est telle dans un pays libre, qu’il attache plus de prix à ce qui lui revient du bonheur public, qu’à tous les avantages particuliers qui ne serviraient pas à la force commune.

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