Les Italiens l’appellent divin ; mais c’est une divinité cachée ; peu de gens entendent ses oracles. […] J’aime encore mieux pourtant dans ce monstre une cinquantaine de vers supérieurs à son siècle, que tous les vermisseaux appelés sonetti, qui naissent et meurent à milliers aujourd’hui, dans l’Italie, de Milan jusqu’à Otrante. […] Ce monde-ci est une pauvre mascarade… Ce pauvre homme (il s’agit d’un abbé Marini, un admirateur de Dante à Paris, et que pour cela Voltaire vient d’appeler un « polisson »), ce pauvre homme a beau dire, le Dante pourra entrer dans les bibliothèques des curieux, mais il ne sera jamais lu. […] Cependant, ce que je demanderai la permission d’appeler l’école de Fauriel, poursuivait son œuvre d’érudition et d’analyse, appliquées méthodiquement et par tous les côtés à La Divine Comédie.
On a de lui des notices sur Boisrobert, l’amusant parasite de Richelieu ; sur Le Pays, qui, attaqué par Boileau, se vengea en faisant une visite polie et de galant hommem : sur Cospeau, l’évêque de Nantes, puis de Lisieux (appelé vulgairement Cospéan), qui fut à la Cour un prélat véridique, et dans son temps un orateur. […] Si, comme on peut le croire, dans le paysage probablement décrit d’après nature par Saint-Amant, il y avait en effet un coin de ruine mal famé, où l’on montrait encore de loin avec effroi ce qu’il appelle le squelette d’un amant qui s’était pendu par désespoir, je ne vois pas pourquoi il ne l’aurait pas conservé : mais autre chose est ce trait trop important pour être omis dans un paysage de ce caractère, et qui n’en occuperait dans tous les cas qu’un côté funeste et maudit, autre chose est la limace et le crapaud qu’il s’amuse à nous montrer dans la strophe suivante sur les parois de la cave ou du souterrain effondré du château : Le plancher du lieu le plus haut Est tombé jusque dans la cave, Que la limace et le crapaud Souillent de venin et de bave… Ce qui paraît d’autant plus choquant que cette cave, ainsi présentée de si laide façon, devint chez lui tout aussitôt la grotte sacrée du Sommeilq : Là-dessous s’étend une voûte Si sombre en un certain endroit, Que, quand Phébus y descendroit, Je pense qu’il n’y verrait goutte ; Le Sommeil aux pesants sourcils, Enchanté d’un morne silence, Y dort, bien loin de tous soucis, Dans les bras de la Nonchalence, Lâchement couché sur le dos, Dessus des gerbes de pavots. […] Le bon gros Saint-Amant comme il s’appelait lui-même en riant tout le premier de sa bedaine, ne réussit plus qu’à être un franc poète de la race pantagruélique ; il chanta La Vigne, Le Melon, Le Fromage, celui de Brie, celui du Cantal, l’« orgie », la « crevaille », comme il dit ; il y mit sa verve, une verve réelle, copieuse, rabelaisienne, grotesque avec feu, mais souvent repoussante et avec des odeurs de taverne ou de fond de cale. […] Ce qui plaît en cet endroit, malgré le traînant de quelques vers, c’est encore le naturel, ce qu’on appelait alors la naïveté, un des caractères de Saint-Amant là où il est bon.
Guillaume Favre, appelé dans sa jeunesse Favre-Cayla, et aussi depuis son mariage Favre-Bertrand, mort le 14 février 1851 à quatre-vingts ans passés, était un de ces Genevois de la belle époque, qui avaient trente ans en 1800 ; qui, après les années de la domination française, assistèrent à la restauration cantonale en 1814 ; qui, dès ce moment surtout, vécurent au bord de leur lac à côté d’Étienne Dumont, l’ami de Mirabeau, du libre publiciste d’Ivernois, du spirituel observateur Châteauvieux, de l’illustre naturaliste de Candolle, du Bernois le plus naturellement français et voltairien Bonstetten, de l’historien Sismondi, et de Rossi plus tard, des Pictet, des de La Rive, des Diodati. […] Sa destinée est à faire envie à ceux (et ils sont nombreux) qu’un aiguillon incessant presse et déchire, qu’un fardeau inégal courbe et accable, pour qui l’antique corvée n’est point tout à fait abolie, et à qui il est dit, même dans ce champ libéral des études : « Tu produiras toujours, tu produiras à heure fixe, et, que tes goûts t’appellent ici ou là, tu iras où est la borne, et tu laboureras cet espace entre l’aurore et le couchant. » Heureux homme, a-t-on droit de s’écrier ! […] Mme de Staël ne l’appelait que mon érudit. […] Favre s’est attaché à suivre cette métamorphose de l’idée d’Alexandre chez les différents peuples bien avant ce qu’on appelle le Moyen Âge et dès les derniers siècles de l’Antiquité.