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510. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Tréguier, en peu d’années, redevint ce que l’avait fait saint Tudwal treize cents ans auparavant, une ville tout ecclésiastique, étrangère au commerce, à l’industrie, un vaste monastère où nul bruit du dehors ne pénétrait, où l’on appelait vanité ce que les autres hommes poursuivent, et où ce que les laïques appellent chimère passait pour la seule réalité. […] En l’adjurant avec certaines formules, dans sa mystérieuse chapelle de Saint-Yves de la Vérité, contre un ennemi dont on est victime, en lui disant : « Tu étais juste de ton vivant, montre que tu l’es encore », on est sûr que l’ennemi mourra dans l’année. […] Il me fallut six années de méditation et de travail forcené pour voir que mes maîtres n’étaient pas infaillibles. […]  » Cela se continua ainsi peut-être une année. […]  » Le vieux vécut encore quelques années, mourant peu à peu, toujours renfermé chez lui, ne causant plus avec le vicaire.

511. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

III         Puis ces bruits d’année en année Baissèrent d’une vie, hélas ! […] Je le croyais couché depuis longues années sous une de ces pierres de granit couvertes de mousse, qui parsemaient comme des tombes son petit champ d’orge et de folle avoine autour de son haut chalet. […] Je secouais comme un fardeau importun, derrière moi, les années intermédiaires entre le départ et le retour ; je rejetais plus loin encore l’idée de m’en séparer pour jamais. […] J’y retrouvais toutes les heures au soleil ou à l’ombre que j’y avais passées, toutes les poésies de mes livres et de mon cœur que j’y avais senties, écrites ou seulement rêvées, pendant les plus fécondes et les plus splendides années de mon été d’homme. […] J’ai relu, pour ainsi dire, ma vie tout entière sur ce livre de pierre composé de trois sépulcres : enfance, jeunesse, aubes de la pensée, années en fleurs, années en fruits, années en chaume ou en cendres, joies innocentes, piétés saintes, attachements naturels, études ardentes, égarements pardonnés d’adolescence, passions naissantes, attachements sérieux, voyages, fautes, repentirs, bonheurs ensevelis, chaînes brisées, chaînes renouées de la vie, peines, efforts, labeurs, agitations, périls, combats, victoires, élévations et écroulements de l’âge mûr sur les grandes vagues de l’océan des révolutions, pour faire avancer d’un degré de plus l’esprit humain dans sa navigation vers l’infini !

512. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

Quand il eut perdu son protecteur en 1586, il habita tantôt la Normandie, tantôt la Provence, et l’on sait peu de chose de lui durant ces années de troubles civils. […] Depuis cette ode de bienvenue à la reine Marie de Médicis, cinq années s’écoulèrent encore avant que Malherbe fût appelé à la Cour, où ses compatriotes Du Perron et Des Yveteaux avaient parlé de lui et l’avaient recommandé au roi. […] Des tribulations de famille, des procès que, dit-on, il ne fuyait pas toujours, des infirmités achevèrent de lui remplir ces longues années du déclin. […] Il passe ses instants de loisir à polir durant des années des épigrammes de toutes sortes qu’il emprunte à Martial, à Catulle ou à de moins dignes, à correspondre avec les académiciens en renom, avec son voisin Balzac, « l’incomparable ermite de la Charente », avec les illustres de Paris, Chapelain, Gomberville et autres : il leur prodigue les louanges pour qu’ils les lui rendent ; il cherche à se rattacher à ceux qui vivent, et à ce qu’on dise de lui le moins possible feu Maynard. […] Son ode intitulée La Belle Vieille est célèbre ; elle s’adresse à une de ces beautés comme nous en avons connu, qui défient les années et dont les retours de saison ont des triomphes comme les printemps : Ce n’est pas d’aujourd’hui que je suis ta conquête : Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris, Et j’ai fidèlement aimé ta belle tête Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.

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