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1170. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Il s’est créé depuis une douzaine d’années une jeune école d’érudits laborieux, appliqués, ardents, enthousiastes, qui se sont mis à fouiller, à défricher tous les cantons de notre ancienne littérature, à en creuser tous les replis, à rentrer jusque dans les portions les plus explorées et censées les plus connues, pour en extraire les moindres filons non encore exploités. […] J’ai parlé de ces jeunes travailleurs, qui pendant quelques années firent groupe, parce qu’on en retrouve un bon nombre ici. […] J’ai entendu regretter que lorsque cette poésie française rajeunissante essaya, vers les années 1820-1830, de remonter par-delà Malherbe, de regarder à son passé, de se rattacher aux ancêtres et de ressaisir un souffle de la Renaissance ou du moyen âge, nos poètes modernes aient négligé ces vieux monuments, et ne s’y soient pas directement inspirés et ralliés, au lieu de se borner à des poètes du xvie  siècle, à Ronsard et à ses contemporains de la Pléiade, et de s’arrêter ainsi à mi-chemin, — au quart du chemin. […] Mais l’excuse est dans les dates mêmes : comment, de 1825 à 1830, les poètes, même les plus doués de seconde vue, auraient-ils pu savoir et lire couramment ce que les érudits alors déchiffraient, épelaient à peine, et qui ne devait sortir que quelques années plus tard de la poussière des bibliothèques ? […] Mais le danger, depuis quelques années, est celui-ci : les maîtres ont fait des disciples, ne nous en plaignons pas, mais les disciples sont nés trop au hasard.

1171. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

La rivière se remplit d’eau jusqu’aux bords ; tu leur sèmes le blé, tu arroses le sillon, tu l’amollis, tu lui commandes de végéter, tu couronnes l’année de tes dons, et dans tous les sentiers s’épanche l’abondance. […] « Je me console en pensant aux jours d’autrefois, aux années du temps qui a coulé ! […] « Le nombre de nos années est de soixante-dix ans à quatre-vingts ans pour les plus robustes ; puis le fil de nos jours est coupé en un clin d’œil, et nous ne sommes plus ! […] XXIII J’étais déjà dans cette disposition pour ainsi dire innée pour le poète David, il y a quelques années, quand je visitai la patrie, la demeure et le tombeau de ce grand lyrique. […] Une lampe l’éclairait ; je taillai mon crayon, et j’écrivis, à la lueur de la lampe battue du vent sous la toile, quelques strophes restées incomplètes, et que j’adressai, un certain nombre d’années après, à un des plus élégants et des plus érudits traducteurs des psaumes, M. 

1172. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

Black, et nos propres recherches en Italie pendant de longues années de loisir, nous ont révélé sur la vie aventureuse et mystérieuse du Tasse tout ce qui avait été jusqu’ici énigme, conjecture ou préjugé historique. […] II Un soir d’automne de l’année 1812 je visitais pour la première fois Rome, ville presque déserte alors par l’enlèvement du pape et par la dispersion des pontifes de l’Église romaine, que Napoléon avait emprisonnés à Savone. […] Quelques années avant, admis par l’obligeante familiarité du grand-duc de Toscane dans la bibliothèque réservée du palais Pitti à Florence, j’avais souvent feuilleté à loisir avec ce prince lettré les manuscrits inédits de la main du Tasse conservés dans ce trésor des lettres. […] Pendant ces années d’exil, le père, envoyé à Paris par le prince de Salerne, pour solliciter une seconde expédition française contre Naples, vivait retiré à Saint-Germain, retouchant son poème d’Amadis et adressant des vers italiens à Marguerite de Valois. […] C’était l’année où se tramait le massacre de la Saint-Barthélemy ; tout était trouble, lutte et dissimulation, en France, entre les catholiques et les protestants.

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