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189. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

On invoque les découvertes de Darwin ; on remarque que parmi les animaux et les végétaux les plus faibles sont la proie des plus forts, que les espèces inférieures sont détruites ou asservies par les espèces supérieures ; et l’on conclut que de même, parmi les hommes, le progrès est au prix de la disparition des races mal douées, que les nations sont vouées à une entremangerie où les mieux armées, ce qui constitue et implique leur supériorité, ont pour mission de dompter ou d’exterminer les autres. […] Ils ont fait observer que Voltaire77 a répondu par avance à ceux qui ont faussé, en la tirant hors de l’histoire naturelle, la pensée de Darwin. « Tous les animaux, écrivait le philosophe du xviiie  siècle, sont perpétuellement en guerre ; chaque espèce est née pour en dévorer une autre. Il n’y a pas jusqu’aux moutons et aux colombes qui n’avalent une quantité prodigieuse d’animaux imperceptibles. […] Il semble que, Dieu ayant donné la raison aux hommes, cette raison doive les avertir de ne pas s’avilir à imiter les animaux, surtout quand la nature ne leur a donné ni armes pour tuer leurs semblables ni instinct qui les porte à sucer leur sang. » Ces mêmes obstinés, trouvant étrange qu’on offrît pour modèles à l’humanité les loups et les ours, ont dit encore : Quand même l’histoire prouverait que de grands empires d’autrefois se sont formés par ce vol à main armée qu’on appelle la conquête, quand même de grands empires d’aujourd’hui ne seraient qu’une agglomération de provinces ou de colonies soudées de force ensemble, s’ensuit-il que le passé puisse servir de règle à l’avenir et qu’il soit permis de confondre ce qui a été ou ce qui est avec ce qui doit être ?

190. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Il était compatissant pour les animaux ; il rêvait à la vie des anachorètes dans le désert, et se faisait de petits ermitages au milieu des chèvrefeuilles et des abeilles. […] Parlant quelque part des instincts variés des animaux et les assimilant à ces affections secrètes et innées qui sont réparties à chaque homme destiné à percer ou à souffrir : Notre vie entière, dit-il, n’en est pour chacun de nous que le développement. […] Il ne s’y laisse pourtant point gagner le cœur en commençant : Jamais ces lieux sauvages ne furent réjouis par le chant des oiseaux, ou par les amours de quelque animal paisible. […] Je ne pouvais me lasser de voir ces pigeons voler autour de la table, ces chèvres qui jouaient avec les enfants, et tant d’animaux réunis autour de cette famille charmante.

191. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

On remarquera que Volney ne peut s’empêcher de reconnaître dans le merveilleux rapport de cet animal avec le climat auquel il est destiné une sorte d’intention providentielle et divine ; ce sont de ces aveux qui lui échappent rarement, et que l’exactitude seule lui arrache ici. Après avoir décrit le désert dans toute son aridité de végétation, n’offrant plus, au retour des chaleurs, « que des tiges sèches et dures comme le bois, que ne peuvent brouter ni les chevaux, ni les bœufs, ni même les chèvres », il ajoute : Dans cet état, le désert deviendrait inhabitable, et il faudrait le quitter, si la nature n’y eût attaché un animal d’un tempérament aussi dur et aussi frugal que le sol est ingrat et stérile, si elle n’y eût placé le chameau. Aucun animal ne présente une analogie si marquée et si exclusive à son climat : on dirait qu’une intention préméditée s’est plu à régler les qualités de l’un sur celles de l’autre. […] Aussi, pour en conserver l’espèce, la nature le cacha-t-elle au fond des vastes déserts, où la disette des végétaux n’attirait nul gibier, et d’où la disette du gibier repoussait les animaux voraces.

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