Elle y a rencontré un Anglais, M. […] Madame Merson, dont le nom se prête à une double consonance française et britannique, passe pour l’épouse divorcée d’un gentleman anglais, remariée à M. […] Bernard, qui lui porte une affection presque paternelle, l’a ramenée d’Amérique sur un de ses navires ; et, en attendant la réponse d’une famille anglaise à laquelle il l’a proposée, il lui a fait accepter l’hospitalité de la maison Fourchambault, avec qui il est en bonnes relations. […] Le scandale court par la ville, s’embarque au quai pour l’Angleterre, et en revient avec le dédit formel de la famille anglaise qui devait prendre Marie Letellier pour institutrice. — Shoking !
Avec les vingt-quatre milliards anglais dépensés en coups de canon, on eût changé la face de la terre, ébauché partout la civilisation, et supprimé dans le monde entier l’ignorance et la misère. […] L’aristocratie anglaise, qui a parfois de ces bonnes idées-là, a imaginé de donner à une opinion politique le nom d’une vertu. […] Tout le monde a plus d’esprit que Voltaire ; l’aristocratie anglaise a plus d’esprit que Machiavel. […] Si vous êtes curieux au point de lui demander comment s’appelait le marchand anglais qui le premier en 1612 est entré en Chine par le Nord, et l’ouvrier verrier qui le premier en 1663 a établi en France une manufacture de cristal, et le bourgeois qui a fait prévaloir aux états-généraux de Tours sous Charles VIII le fécond principe de la magistrature élective, adroitement raturé depuis, et le pilote qui en 1405 a découvert les îles Canaries, et le luthier byzantin qui, au huitième siècle, a inventé l’orgue et donné à la musique sa plus grande voix, et le maçon campanien qui a inventé l’horloge en plaçant à Rome sur le temple de Quirinus le premier cadran solaire, et le pontonnier romain qui a inventé le pavage des villes par la construction de la voie Appienne l’an 312 avant l’ère chrétienne, et le charpentier égyptien qui a imaginé la queue d’aronde trouvée sous l’obélisque de Louqsor et l’une des clefs de l’architecture, et le gardeur de chèvres chaldéen qui a fondé l’astronomie par l’observation des signes du zodiaque, point de départ d’Anaximène, et le calfat corinthien qui, neuf ans avant la première olympiade, a calculé la puissance du triple levier et imaginé la trirème, et créé un remorqueur antérieur de deux mille six cents ans au bateau à vapeur, et le laboureur macédonien qui a découvert la première mine d’or dans le mont Pangée, l’histoire ne sait que vous dire.
Il avait vingt-quatre ans, d’aimables dehors, de la naissance ; il parlait l’anglais avec facilité et aimait même à l’écrire : « Car cette langue, disait-il, se prête à tout, au lieu qu’en français il faut toujours rejeter dix pensées avant d’en rencontrer une qu’on puisse bien habiller. » Il y contracta tout d’abord d’étroites amitiés, y vit le grand monde, fut présenté à la cour, et, ce qui nous intéresse davantage, fut admis, à Cambridge, dans l’intimité du charmant poète Gray. « Jamais, disait-il, je n’ai vu personne qui donnât autant que Gray l’idée d’un gentleman accompli. » Nous avons un récit de ces mois de séjour à Cambridge, par Bonstetten, qui s’est plu à mettre en contraste le caractère mélancolique de Gray avec la sérénité d’âme de son autre ami, le poète allemand Matthisson, qu’il posséda plus tard chez lui comme hôte en son château de Nyon, dans le temps qu’il y était bailli. […] Ma gaieté, mon amour pour la poésie anglaise, que je lisais avec Gray, l’avaient comme subjugué, de manière que la grande différence de nos âges n’était plus sentie par nous. […] Sa lettre n’a pas été corrigée du tout, et elle est de moitié plus agréable que si elle était d’un Anglais. » Mais s’il donnait à Gray bien du plaisir par ses vivacités, Bonstetten lui donnait pour le moins autant d’inquiétude.