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650. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

II Du reste, et quoi qu’il soit de ces deux volumes, les amis de Guérin qui les ont publiés ont cru être habilement modestes. […] je crains fort, pour mon compte, que les amis de Guérin, qui avaient pris pour lui faire trompette un hautbois tortueux aussi peu sûr de ses sons, ne se repentent maintenant d’un choix déterminé par le nom seul de l’instrumentiste ; mais ce que je sais de science certaine, c’est que Guérin n’avait nul besoin que l’auteur des Consolations, qui n’est nullement celui des affirmations et des certitudes, affirmât, sous réserve de s’abuser, un genre de génie que Guérin était bien de force à affirmer tout seul, et que l’auteur des Portraits contemporains ajoutât au mou de ses affirmations le mou de sa manière, en donnant, pour éclairer son œuvre, ce médaillon, vaporeux et gris, d’une biographie, qui, cependant, n’est pas sans charme (le charme du sujet), mais dans lequel je ne trouve que le profil fuyant et énervé de cette individualité poétique, — plus poétique que son talent même ! […] Le reste, et le reste est le tout, n’est que prose : lettres écrites à des amis, mais dans les premiers moments de la vie ; Memoranda, vues sur soi-même ; paysages bretons : admirable rendu de la nature par qui l’adore ; et, pour couronner cet ensemble, Le Centaure, qui n’est pas un fragment, mais un chef-d’œuvre complet et absolu, où pour la première et seule fois Guérin saisit son idéal et n’insulta pas sa pensée. […] Il en voulait précéder les quelques lettres qu’il avait de son ami.

651. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Amédée Pommier »

Cet homme, qui fut mon ami, c’est Amédée Pommier. […] Dans un temps où la gloire n’était pas difficile et où Victor Cousin disait : « On a trois ou quatre amis. […] » Pommier manqua de ces quatre amis. […] Si Amédée Pommier, au lieu d’être un artiste en lettres, avait été un intriguant de lettres qui aurait réussi, Sainte-Beuve, ce laquais du succès, qui, disait son ami Béranger, est toujours monté derrière les voitures, n’aurait pas manqué cette ascension derrière le cabriolet de Pommier· Malheureusement, Pommier n’en avait pas, et Sainte-Beuve resta par terre et se tut.

652. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

On se disputait de l’or et du papier ; c’était une assez grande occupation que celle de s’enrichir, de s’appauvrir, de s’ennoblir, d’acheter, de vendre, d’échanger, de calculer, de prévoir, de ruiner ses créanciers ou ses amis. […] Ô ami tendre ! […] À peine en ai-je goûté les charmes, non pas de cette amitié vaine qui naît dans les vains plaisirs, qui s’envole avec eux, et dont on a toujours à se plaindre, mais de cette amitié solide et courageuse, la plus rare des vertus. » L’orateur nous apprend ensuite que c’est le dessein d’élever un monument à la cendre de son ami, qui lui a fait entreprendre cet ouvrage ; il finit par une réflexion triste mais vraie. […] C’est là qu’on trouve le mot d’un jeune Brienne qui, ayant le bras fracassé au combat d’Exilles, monte encore à l’escalade en disant : Il m’en reste encore un autre pour mon roi et ma patrie  ; celui de M. de Luttaux qui, blessé de deux coups, affaibli et perdant son sang, s’écria : Il ne s’agit pas de conserver sa vie, il faut en rendre les restes utiles  ; celui du marquis de Beauveau, qui, percé d’un coup mortel, et entouré de soldats qui se disputaient l’honneur de le porter, leur disait d’une voix expirante : Mes amis, allez où vous êtes nécessaires ; allez combattre, et laissez-moi mourir.

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