Cette marche vers la destruction pourrait en certains cas être assez logique et assez morale comme l’est parfois, même au point de vue individuel, un acte de suicide. […] Tous les actes qui ne contrarient pas l’idée de dignité qu’il a choisie à son gré, il pourra les accomplir en toute sécurité de conscience. […] C’est que nous ne savons pas toujours très bien ce qui est raisonnable et ce qui ne l’est pas, et que nous ne pouvons pas non plus prévoir exactement les conséquences de nos actes. […] La morale est tellement en dehors de l’homme qu’accomplir un acte par affection pour autrui ou par patriotisme, ce n’est nullement là, pour louable que soit l’acte, agir en être moral. Et la morale reste si bien en dehors de la vie que jamais peut-être un seul acte n’a été accompli conformément à la loi même du devoir.
Le roi, modérateur bien intentionné de la révolution, est méconnu par les uns et par les autres dans ses actes et dans ses intentions ; les grands lui reprochent sa faiblesse pour les novateurs, les novateurs sa partialité pour les grands ; le peuple l’enveloppe de ses soupçons, bientôt de ses menaces, puis de ses fureurs. […] C’est en approchant de l’homme témoin des événements qu’on approche le plus près de la vérité des actes et des caractères. […] Il avait été un des confidents les plus initiés dans les pensées et dans les actes politiques du chef du comité de salut public. […] Le jugement final porté par moi dans les Girondins sur cet homme, sur ses systèmes et sur ses actes, est trop implacable de sévérité pour qu’on puisse m’imputer aucune complicité d’idées ou aucune intention d’atténuation de ses immanités, juste horreur des siècles. […] On l’a bien vu, quand, porté un moment, par le hasard de ma vie et des événements, à la place même où Robespierre avait reçu le coup de pistolet vengeur du sang qu’il avait demandé et qu’il demandait encore, mon premier acte politique a été de proposer au gouvernement de la seconde république, qui partageait mon impatience d’humanité, de porter le décret d’abolition de la peine de mort en politique, et de désarmer, en nous désarmant, le peuple de l’arme des supplices, qui déshonore toutes les causes populaires quand elle ne les tue pas.
On comprend alors, dès qu’il apparaît, dès qu’il parle, dès qu’il agit, ses premiers mots et ses moindres actes ; on a le pressentiment de sa présence et de son importance dans le drame, on le regarde, on le reconnaît, on s’incorpore, pour ainsi dire, d’avance avec lui. […] Jamais peut-être autant de tragiques événements ne furent pressés dans un espace de temps aussi court ; jamais non plus cette corrélation mystérieuse qui existe entre les actes et leurs conséquences ne se déroula avec plus de rapidité. […] Cette justice rémunératoire que Dieu a placée dans nos actes mêmes comme une conscience plus sainte que la fatalité des anciens ne se manifesta jamais avec plus d’évidence ; jamais la loi morale ne se rendit à elle-même un plus éclatant témoignage et ne se vengea plus impitoyablement. […] « Si chacun des partis ou des hommes mêlés dès le premier jour à ces grands événements eût pris leur vertu au lieu de leur passion pour règle de leurs actes, tous ces désastres, qui les écrasèrent, eussent été sauvés à eux et à leur patrie. […] Agir ou se reposer, marcher ou s’asseoir, sont deux actes entièrement différents, qui nécessitent chez l’homme des attitudes entièrement diverses.