Elle n’y prenait pas une place à part ; elle n’avait pas su attacher aux traditions religieuses et aux fêtes nationales quelques empreintes immortelles d’imagination et d’art, ; elle n’était pas entrée dans la vie des Romains, moins poétique et moins libre que celle des Grecs : et, si elle s’était mêlée parfois à ces œuvres artificielles du théâtre que Rome victorieuse chercha comme une distraction, elle n’avait eu, sous cette forme, qu’un rôle secondaire, dont le cadre même devenait difficile et rare sous le pouvoir absolu d’Auguste. […] Au moment où, conduit par une rêverie savante à ce matérialisme épicurien dont César devait abuser en factieux quelques années après, Lucrèce allait expliquer la formation spontanée du monde, l’action exclusive de la matière, l’intelligence passagère qui en résulte et la mortalité absolue de l’être humain, il élève ses regards vers les cieux ; il y voit briller un astre cher à la superstition romaine ; il en retrouve le souvenir et le nom dans les origines de Rome, et il ouvre son poëme antimythologique et antiplatonique par cette invocation incomparable à la déesse de la fécondité dans la nature, à cette déesse de la beauté et de l’amour, qu’il supplie de désarmer le dieu de la force et de la guerre : « Mère des enfants d’Énée, charme des hommes et des dieux, bienfaisante Vénus ! […] Vous n’avez plus d’autre argument que de multiplier les ruines, en preuve de la destruction universelle qui nous attend, d’autre consolation que de nommer tour à tour les rois, les grands hommes, les poëtes, les sages, dont la mort a précédé celle que vous déclarez pour chacun de nous aussi absolue qu’elle est inévitable ; vous dites éloquemment : « Scipion, ce foudre de guerre, la terreur de Carthage, a laissé ses ossements à la terre comme le plus infime esclave.
Lorsqu’il consent à descendre des hauteurs absolues où se complaît son rêve (Hénor, le Livre de Marguerite, Madame la Reine, etc.), il devient le plus charmant causeur, l’esprit le plus délié, le critique d’art le mieux informé.
Nous y mettrons la froideur, l’impartialité la plus absolue.