Rien ne lui a échappé : et il a jeté tout cela, abondamment, confusément dans son poème, laïcisant, c’est-à-dire vulgarisant la science des écoles, initiant les seigneurs et les bourgeois aux plus graves problèmes, aux plus hardies solutions, aux plus téméraires inquiétudes, sollicitant le vulgaire à savoir, à penser, par conséquent à s’affranchir, et faisant ainsi une œuvre qu’on a pu comparer à celle de Voltaire. […] Par sa philosophie qui consiste essentiellement dans l’identité, la souveraineté de Nature et de Raison, il est le premier anneau de la chaîne qui relie Rabelais, Montaigne, Molière, à laquelle Voltaire aussi se rattache, et même à certains égards Boileau.
Jourdain, et que ce soient Montaigne et Voltaire : la chose est grave. […] Surtout il n’est pas chrétien, et la décence de son adhésion à la religion établie dissimule mal en lui la négation de l’essence même du christianisme : ainsi le courant d’esprit antichrétien, ou simplement non chrétien, qui se laisse distinguer dans le siècle classique, et qui passe par Molière ou par Descartes pour arriver à Voltaire, prend sa source en lui ; le rationalisme, épicurien ou cartésien, est impliqué dans les Essais.
On peut partager le siècle en quatre ou cinq générations : la première, de Richelieu (1583) à Corneille (1606), a disparu, ou vieilli en 1660 ; la suivante, de La Rochefoucauld (1613) à Bossuet (1627), a sa pleine vigueur, alors que la troisième, celle de Boileau, de Louis XIV et de Racine (1636-1639), entre seulement dans la vie, dans l’activité indépendante et consciente ; la quatrième, de La Bruyère (1643) à Regnard (1633), ne s’avancera au premier plan que dans les dernières années du siècle, tandis que la suivante, avec La Motte (1672), formée avant 1713, inaugurera en sa maturité le xviiie siècle intellectuel auquel les Montesquieu (1689) et les Voltaire ( 169 î) appartiendront tout entiers, gardant seulement en leurs esprits quelques reflets de ce xviie siècle, dont les dernières lueurs auront éclairé leur enfance. […] » par le chevalier de Méré, par le voyageur Bernier qui disait si bravement que l’abstinence des plaisirs lui paraissait un grand péché, plus tôt encore, par les amis et patrons de Théophile, les Montmorency et les Liancourt, par les philosophes nourris de Lucrèce et de Sénèque, on trace un grand courant de scepticisme ou de négation qui, sous les dehors chrétiens du grand siècle, relie Montaigne à Voltaire, et l’on sait à quelles sources rattacher l’esprit des œuvres de La Fontaine et de Molière.