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249. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

L’ironie, chez lui, n’a aucune âcreté comme chez Voltaire. […] Par là surtout il se distingue de Voltaire, qui mord et rit d’une façon âcre. […] Les sonnets, les odes et les autres ouvrages qui veulent du sublime, ne s’accommodent pas du simple et du naturel ; c’est l’obscurité qui en fait tout le mérite ; il suffit que le poète croie s’entendre… Nous sommes cinq ou six novateurs hardis qui avons entrepris de changer la langue du blanc au noir ; et nous en viendrons à bout, s’il plaît à Dieu, en dépit de Lope de Vega, de Cervantes… Sachons bien qu’en écrivant ces choses, Lesage avait en vue Fontenelle, Montesquieu peut-être, certainement Voltaire, qu’il trouvait trop recherchés et visant à renchérir sur la langue de Racine, de Corneille, et des illustres devanciers. […] Gilles et Fagotin auront là un bon maître : Apollon avait un fort mauvais écolier. » Voltaire avait trop d’esprit pour ne pas louer Gil Blas, mais il l’a loué le moins possible, et il a mêlé à son éloge une imputation de plagiat inexacte et tout à fait malveillante. D’après les deux mots qu’il laisse échapper à regret sur Gil Blas, Voltaire ne paraît pas se douter qu’il sera infiniment plus glorieux bientôt d’avoir fait ce roman-là que le poème de La Henriade.

250. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Voltaire, plus vif, a parlé de lui comme d’un homme dans qui l’érudition la plus profonde n’avait point éteint le génie : Il prenait quelquefois devant Votre Altesse Sérénissime (Mme du Maine) un Sophocle, un Euripide ; il traduisait sur-le-champ en français une de leurs tragédies. […] Voilà des éloges qui donneraient une haute idée du personnage ; mais n’oublions pas que c’est dans une épître dédicatoire que Voltaire s’exprime de la sorte. […] Voltaire aussi fut un des hôtes, sinon des bergers de Sceaux, et il y fit quelques séjours dont on se souvient. […] Voltaire y travaillait aux bougies ; il y composa pendant deux mois quantité de ses jolis Contes, notamment Zadig, et il descendait chaque soir en régaler la princesse, qui, n’ayant pas l’habitude de dormir, dormait ces nuits-là moins que jamais. On noterait encore d’autres apparitions de Voltaire dans la petite cour de la duchesse du Maine, et qui eurent leur singularité.

251. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

Il faut avouer que ses compliments sont à peu près dans ce goût : « Autrefois, je ne vous connaissais pas, je ne vous lisais pas, je ne rencontrais que des gens qui me disaient du mal de vos romans… Maintenant tout est changé… alors je vous lis, je vous lis avec un grand plaisir… et vous trouve vraiment beaucoup de talent… Mais au fait, on dit que vous avez aussi publié des livres d’histoire très curieux… moi je n’y croyais pas, quand j’ai commencé à lire vos romans… je les ai trouvés si bien, que ça me mettait en défiance contre vos autres livres… Je me disais : ils sont trop romanciers pour être des historiens… » * * * — Voltaire n’a que l’esprit, tout l’esprit d’une vieille femme du xviiie  siècle ; mais jamais de son esprit ne jaillit une pensée, ayant la moindre parenté avec une pensée de Pascal, avec une pensée de Bacon, avec n’importe quelle pensée d’une grande cervelle philosophique. […] Jeudi 13 octobre Visite de l’administrateur du journal Le Voltaire, m’annonçant qu’il va couvrir Paris d’affiches, et le jour de l’apparition du premier feuilleton de La Faustin, faire délivrer dans les rues de Paris, une chromolithographie de la Faustin, tirée à cent mille exemplaires. […] Et dans l’escalier, ne pouvant garder le secret de sa conception, il se retourne tout à coup, et s’appuyant sur la rampe, il me dit : « Eh bien voilà mon idée… il y a de grands poteaux sur le boulevard… la question est de pouvoir obtenir, d’y faire mettre des flammes, sur lesquelles serait imprimé : « La Faustin, le 1er novembre, dans le Voltaire… » Certainement la police interviendra, les fera enlever, mais elles y seront tout un jour. […] Ce matin, le numéro du Voltaire, tiré à 120 000 et donné aux passants. […] Vu Laffitte au Voltaire.

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