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588. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

De ma cabine je regarde bêtement par l’œil rond, par le hublot du bateau, l’échevèlement éternel des vagues, où dedans parfois, un petit bateau s’encadrant dans cette grosse lentille, semble une marine peinte sur un galet de cristal. […] Un moment, pour aller plus vite et pour dépêcher l’éternel dépiotage, on la pose sur ses pieds, qui cognent comme des pieds au bout de jambes de bois, et l’on voit tournoyer, pirouetter, valser épouvantablement, entre les bras hâtés des aides, ce paquet qui se tient debout : la Mort dans un ballot. […] Mariette, qui s’est emparé de la petite plaque d’or, dit que c’est une prière de cette femme, pour la réunion de son cœur et de ses entrailles à son corps, au Jour éternel. […] Pauvre cadavre profané, si bien enterré et voilé, et qui devait si parfaitement se croire sûr du repos et du secret de l’inviolabilité éternelle, et que le hasard d’une fouille jetait là, comme une crevée de notre temps, sur une table d’amphithéâtre, sans que personne, autre que nous deux, en ressentît une profonde mélancolie. […] Et sempiternellement à l’horizon, cet éternel Puy de Dôme, dont le cône bleuâtre ressemble si épicièrement à un pain de sucre, enveloppé de son papier.

589. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

……………………………………………………… ……………………………………………………… ……………………………………………………… ……………………………………………………… Et plus loin : Non, tu ris avec moi de l’erreur où nous sommes ; Tu sais de quel linceul le temps couvre les hommes ; Tu sais que tôt ou tard, dans l’ombre de l’oubli, Siècles, peuples, héros, tout dort enseveli ; Qu’à cette épaisse nuit qui descend d’âge en âge À peine un nom par siècle obscurément surnage ; Que le reste, éclairé d’un moins haut souvenir, Disparaît par étage à l’œil de l’avenir ; Comme, en quittant la rive, un navire à la voile, À l’heure où de la nuit sort la première étoile, Voit à ses yeux déçus disparaître d’abord L’écume du rivage et le sable du port, Puis les tours de la ville où l’airain se balance, Puis les phares éteints qu’abaisse la distance, Puis les premiers coteaux sur la plaine ondoyants, Puis les monts escarpés sous l’horizon fuyants ; Bientôt il ne voit plus au loin qu’une ou deux cimes, Dont l’éternel hiver blanchit les pics sublimes, Refléter au-dessus de cette obscurité Du jour qui va les fuir la dernière clarté, Jusqu’à ce qu’abaissés de leur niveau céleste, Ces sommets décroissants plongent comme le reste, Et qu’étendue enfin sur la terre et les mers, L’universelle nuit pèse sur l’univers. […] On murmurait qu’il était exilé dans cet honorable exil par la jalousie de ses ennemis et par l’ingratitude des Bourbons, son texte éternel. […] Mais la poésie et l’amitié sont du domaine réservé des choses éternelles. […] De ces hommes, quelques-uns sont à peine morts, et leur cendre est à peine refroidie dans nos cimetières ; le plus grand nombre vit encore, vieillit ou plutôt mûrit dans ce travail des lettres, qui est l’éternelle jeunesse de l’esprit, parce qu’il est son éternelle reproduction par l’étude.

590. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

On ne les prend plus au pied de la lettre, mais comme les signes d’une situation ; on les oublie presque pour ne s’attacher qu’à ce qu’il y a de tristement éternel et d’applicable à nous chétifs dans ces peintures typiques du drame des passions humaines. […] que Racine est bien le poète des femmes, et des plus douces, des plus sages, des plus tendres, aussi bien que des plus folles et des plus détraquées… Après Phèdre, lisez Bérénice, le drame par excellence du sacrifice de l’amour au préjugé social ; sujet éternel comme les autres. […] On peut se lasser de tout, même du pittoresque, qui change avec le temps, mais le fond du théâtre de Racine est éternel ou, ce qui revient au même, contemporain du génie de notre race dans tout son développement, et la forme est celle qu’a revêtue ce génie à son moment le plus heureux.

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