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242. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

Figurez-vous dans cette condition un homme de génie, un vrai poëte capable des émotions les plus délicates et des aspirations les plus hautes, qui veut monter, monter au sommet, qui s’en croit capable et digne1142. […] Enfin, après tant d’années, nous sortons de la déclamation notée, nous entendons une voix d’homme ; bien mieux, nous oublions la voix pour l’émotion qu’elle exprime, nous ressentons par contre-coup cette émotion en nous-mêmes, nous entrons en commerce avec une âme. […] Enfin la poésie est redevenue vivante ; ce ne sont plus des mots qu’on écoute, mais des émotions qu’on ressent ; ce n’est plus un auteur qui parle, c’est un homme. […] L’esprit, dépassant les règles connues de la rhétorique et de l’éloquence, pénètre dans la psychologie profonde, et n’emploie plus les mots que pour chiffrer les émotions. […] Qu’importe que mon vers soit une ligne de prose rimée, si cette ligne rend visible une émotion noble ?

243. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Il veut que le roman soit objectif, impersonnel, « impassible » ; et, malgré les violences ou les gaucheries des formules dont il use dans sa Correspondance, il a raison lorsqu’il veut que l’émotion, la pitié sortent, s’il y a lieu, des choses mêmes, et non pas d’une pression directe de l’auteur sur le lecteur, lorsqu’il défend au romancier de forcer pour ainsi dire la carte de la sympathie ou de l’attendrissement par une intervention indiscrète. […] Toute l’émotion est dans la matière : et pour preuve, qu’on relise les plus ordinaires correspondances des journaux de 1870, on sera tout aussi douloureusement empoigné. […] L’impersonnalité du savant n’a jamais été son fait : mais il a su objectiver sa sensation, remonter à la cause extérieure de son émotion, et, domptant le frémissement intérieur de son être, que l’on sent toujours et qui prend d’autant plus sur nous, il s’est appliqué à noter exactement l’objet dont le contact l’avait froissé ou caressé. […] Cherbuliez914 a conté des histoires bizarres, aux aventures compliquées, dosant adroitement la surprise et la sympathie, assez banal en sa psychologie et superficiel en son émotion.

244. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

Comme la représentation, l’émotion réelle de chaque moment est un tout concret et original, si bien que nous n’avons jamais deux fois la même émotion. […] Les modernes partisans de la sensation transformée profitent de ce que les sensations superficielles des cinq sens, ou du moins celles de la vue, de l’ouïe et du toucher, sont devenues aujourd’hui presque indifférentes, presque des sensations pures et en apparence passives, tandis que les sensations organiques et celles mêmes du goût ou de l’odorat enveloppent clairement émotion et réaction ; ils brouillent le tout et supposent des sensations isolément passives et indifférentes, qui, combinées, produiraient : 1° l’apparence de l’activité ou de la volonté, 2° la réalité du plaisir ou de la douleur. […] De même que, psychologiquement, tout état de conscience enveloppe à des degrés divers les trois fonctions essentielles de sensation, d’émotion et d’appétition, mais que les rapports mutuels des états de conscience les rendent tantôt plus passifs, tantôt plus actifs, tantôt plus excitateurs, tantôt plus dépressifs, de même, physiologiquement, il y a dans tous les mouvements cérébraux et nerveux des effets essentiellement sensoriels et moteurs, accidentellement excitateurs ou inhibiteurs.

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