Car, il n’y a pas de « mouvements » hardis ou passionnés, il n’y a pas de formes de l’éloquence humaine, il n’y a ni souvenirs historiques, ni moyens d’émotions qu’on ne puisse employer dans la cause de la liberté, de la justice, ou de la patrie. […] C’est que, justement, pour être lui-même et renouveler en chacun de nous l’émotion de son ancien auditoire, le véritable orateur, Démosthène ou Bossuet, n’a pas besoin de tout cet appareil, ni du secours extérieur de l’action ou du geste. […] Mais cela veut dire, au contraire, qu’indépendamment du genre ou de l’espèce d’émotion qu’il éveille en nous, qu’indépendamment de nous et de ce que nous y pouvons apporter de nous-mêmes, un paysage est en soi de la « tristesse » ou de la « gaieté », de la « joie » ou de la « souffrance », de la « colère » ou de « l’apaisement ». […] Une seule réponse est possible : la poésie, art des rythmes et des syllabes, doit, étant une musique, créer des émotions. » Et plus loin encore « Aux points saillants de ses poèmes, M. […] Encore quelques années, et vous les verrez envahir la critique et la littérature ; symbolistes et décadents, leur objet est de rivaliser désormais avec la musique ; et, par des moyens imités des siens, il s’agit de susciter des émotions musicales.
Lorsque Racine écrivit le rôle divin de Monime, il ne trouva point une émotion plus contenue, plus délicate et plus profonde. […] Il faut le souffle poétique de George Sand et de Michelet ou la vision violente de Victor Hugo et de Dickens pour susciter en nous la figure des objets corporels ; nous sommes alors jetés hors de nous-mêmes et l’émotion nous conduit à la lucidité. […] Ils disent qu’une émotion extrême exige un style incohérent, que l’homme agonisant ou furieux n’a que des cris, des larmes et des silences. […] On voit dans sa correspondance avec son fils qu’il se représente avec excès les émotions des autres, qu’il adoucit le blâme, qu’il a toujours peur d’avoir la main maladroite ou pesante, que sa sensibilité est inquiète, timide et presque féminine. […] Étrange assemblage de pénétration métaphysique et d’émotion poétique, d’aptitude à comprendre la nature et d’inclination à figurer la nature.
Lanson dit excellemment du sentiment national : « On peut dire que la moitié des pages éloquentes ou des émotions poétiques du xve siècle (comme déjà du xive ) est un produit du patriotisme, l’expression d’un amour nouveau de la France, et de la tendresse ou de l’indignation que les misères des humbles et des laborieux excitent. […] Distraction facile, émotion violente et passagère, grossissement des vices et des vertus, extériorisation de la conscience, curiosité des conflits, des péripéties, des perversités, et toujours par le contact avec la foule, par la lumière, la forme plastique, la musique, voilà de quoi est fait le goût du spectacle qui, à son degré aigu, se retrouve à toutes les époques de crise morale. […] — Le public ne connaît que ses tragédies ; à l’étudier de près, son génie dépasse de beaucoup les limites du théâtre ; il faut le voir en Acante dans la Psyché de La Fontaine, lire ses vers, ses lettres, ses commentaires des auteurs anciens ; et l’on découvre chez lui toutes les émotions, toutes les sensibilités et toutes les intelligences.