IV Reste à étudier le jugement localisateur lui-même. — Pour voir de quels éléments il se compose, reprenons notre premier exemple. […] Ils ont donc une autre carte qui fait le même office, et comme, avec la vue qu’ils n’ont pas, nous avons toutes les sensations qu’ils ont, il faut bien que, outre la carte visuelle qui nous est propre, nous en possédions une seconde toute différente qui nous est commune avec eux. — Celle-ci a pour éléments les sensations musculaires et tactiles. […] De même, le troisième jour, regardant le visage de son frère, elle démêla, dans cette tache ronde rosée, une tache spéciale que produisait la proéminence du nez, et devina qu’en effet c’était le nez. — Les peintres coloristes connaissent bien cet état, car ils y reviennent ; leur talent consiste à voir leur modèle comme une tache dont le seul élément est la couleur plus ou moins diversifiée, assourdie, vivifiée et mélangée. — Jusqu’ici, nulle idée de la distance et de la position des objets, sauf lorsqu’une induction tirée du toucher les situe tout contre l’œil. […] Grâce à lui, nous avons à notre disposition de nouvelles séries comparables entre elles et dont les éléments se succèdent en nous avec une vélocité prodigieuse. […] Même remarque à propos des sensations que nous projetons au-delà de notre enceinte sensible et que nous considérons comme des événements étrangers à nous, par exemple les sons, ou comme des qualités d’objets étrangers à nous, par exemple les couleurs. — Sans doute, c’est à tort que tel son qui est une sensation de mes centres acoustiques me semble flotter là-bas et là-haut, à vingt pas sur ma droite ; mais à ce son régulier ou irrégulier correspond, élément pour élément, une vibration de l’air qui se propage à partir de cette hauteur, de cette distance et dans cette direction. — Sans doute encore, c’est à tort que des raies blanches et bleues, qui sont des sensations de mes centres optiques, me semblent étendues sur le papier qui tapisse ma chambre ; mais à ces raies de couleur correspondent, élément pour élément, des différences de structure dans la surface du papier, et, par suite, des différences d’aptitude pour absorber ou renvoyer les divers rayons lumineux.
Or si l’on veut savoir pourquoi l’élément subjectif a remplacé notre scène tragique l’antique objectivité, il est évident qu’il en faut chercher la raison non dans telle ou telle cause secondaire, qui ne serait elle-même qu’un effet par rapport à une cause plus générale, mais dans l’histoire même de l’Absolu. […] La terre ne fut plus qu’un lieu d’exil, la vie que le rêve d’une ombre, et la mort, anéantissant ce qui n’était point, prit la force d’une double négation ; elle délivra l’esprit de son élément fini, et lui ouvrit les portes de la vraie et réelle existence179. Voilà pourquoi l’élément subjectif domine dans toute notre poésie, et jusque sur notre scène. […] Qu’arriverait-il, en effet, si les deux premiers éléments, au lieu d’être confondus, restaient distincts et séparés, si les acteurs de la comédie n’étaient purement et simplement que des sots, et si les Dieux se contentaient de sourire soit dans la conscience des spectateurs, soit dans un chœur comique ? […] C’est la félicité et la satisfaction de la personne qui, sûre d’elle-même, peut supporter de voir échouer ses projets et leur réalisation… Dans le dénouement, ce qui se détruit, ce ne peut être ni l’élément Substantiel en soi, ni l’élément personnel subjectif En effet, comme art véritable, la comédie doit aussi se soumettre à l’obligation de ne pas représenter ce qui est en soi le vrai, la raison absolue, comme ce qui est faux et se détruit de soi-même, mais au contraire comme ce qui ne laisse en réalité, à la sottise, à la déraison, aux faux rapports et aux contradictions, ni la victoire ni une durée indéfinie… Toutefois, la personnalité en soi ne doit pas davantage périr dans la comédie.
sommes-nous sûrs que ce soit une mauvaise chose si le public se purge de ses éléments les plus bas qui s’en vont aux spectacles inférieurs ? […] Je n’entends pas dire par là que le théâtre n’offre que des agréments de cette nature, mais il en offre toujours de cette nature, même alors qu’il contient, par exception, des éléments d’un ordre élevé, et ce sont ces petites misères qui ont prise sur le plus grand nombre. […] 2º Le livre, « instrument spirituel », le livre si cher, si expressif, que nous aimons, le livre qui doit tout à lui-même et non à des éléments étrangers, à un jeu d’acteurs ou un rayon du feu de la rampe, le livre a-t-il à souffrir, dans son destin, de ces excès du théâtre ? […] On sait que la valeur de toute collectivité décroît en proportion directe du nombre des éléments associés. […] Le livre et le spectacle sont deux éléments essentiels d’une culture littéraire complète.