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571. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

M. de Meaux est bien, comme son illustre beau-père, l’écrivain de ce Correspondant qui correspondait alors avec tous les hybrides catholiques de France, adultérisés de libéralisme contemporain. […] Assurément, je ne lui conteste pas sa foi, à cet écrivain qui la met cependant perpétuellement en dehors de la question d’histoire, mais il faut avouer qu’il n’a pas l’ambition de sa foi, et qu’il n’en a pas les regrets ! […] Mais n’ayant rencontré, quand il tenta de pénétrer en France, que François Ier paganisé par la Renaissance, l’allié du Turc, le lecteur passionné de Rabelais et d’Érasme et le protecteur de Marot, flottant inconséquemment des bûchers allumés à des bûchers éteints, et du châtiment des Vaudois au repentir qu’il en exprima en mourant, le Protestantisme envahit bientôt, malgré la sécheresse de sa doctrine, un pays où il n’avait eu pour lui d’abord que les moqueries païennes de ses écrivains et l’attrait (lamentable toujours en France) de sa nouveauté… Révolté, dans son âme de moderne, contre la rigueur d’un temps qui avait une foi ardente et des mœurs séculairement chrétiennes, néanmoins catholique à ce point qu’il répète qu’il l’est incessamment dans son histoire, parce qu’il sait trop qu’on pourrait l’oublier, M. de Meaux ne paraît pas avoir compris que plus tard encore il était possible d’arrêter le Protestantisme envahisseur, comme l’Église, dans d’autres temps, avait arrêté l’Hérésie. […] Mais la Critique n’en doit pas moins louer l’écrivain d’avoir publié des pages si substantielles et si justes, qui éclairent un côté ignoré, quand il n’est pas faussé, de la grande politique de l’Église romaine.

572. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

Est-ce un écrivain à bâtons rompus qui jette les deux bouts du bâton par-dessus sa tête ? […] Il faut croire qu’il y aura des migrations un peu moins splendides pour les écrivains qui ne pleurent point d’avoir écrit des Tragaldabas ! […] Vacquerie est un écrivain qu’on peut croire affecté de grandes maladies cérébrales, mais, de tempérament, c’est un écrivain.

573. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

Eh bien, le libraire qui, comme l’écrivain, se fait la courtisane des fantaisies de son époque et n’ose prendre aucune initiative en dehors de ce que ces fantaisies lui imposent, encourt un peu de ce mépris qui revient aux hommes littéraires, profanateurs de leur génie, qui ont mis en petits morceaux, dans des compositions proportionnées à la taille de leur époque, cet arbre merveilleux que Dieu leur avait planté dans la tête et qui devait s’épanouir et fleurir dans quelque beau livre, orgueil de la patrie et de la postérité !… Ici, le rapport entre l’écrivain et le libraire va beaucoup plus loin qu’on ne croit. […] Or, si l’état de la littérature, c’est-à-dire la force intellectuelle d’une époque, se juge par le nombre et la distinction des livres qui sortent de la plume de ses écrivains, la librairie, qui est l’instrument et le véhicule plus ou moins intelligent de la littérature, se juge d’abord par l’état de cette dernière ; mais elle se juge surtout par ce qui est bien davantage son action directe, positive, réfléchie, personnelle, et nous n’entendons plus ici les livres nouveaux qu’elle édite, mais les livres anciens qu’elle réimprime. […] Mais à cela près de cette nappe de lumière qu’un homme de génie versa, comme un Dieu bienfaisant, sur la tête d’un homme de talent trop obscur, Henri Beyle n’aurait été, aux yeux des hommes de son temps, qu’un dilettante supérieur d’art et de style, et non l’homme qui, dans cette première moitié du xixe  siècle, devait, après Balzac, marcher à la tête des artistes, des observateurs et des écrivains.

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